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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 9


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— Ah ca !... mais ou allez-vous ?

— Voir si je peux quelque chose pour ces femmes. Elles sont normandes comme moi.

— Ouais ! repliqua la tsigane. Et vous croyez qu'on va rester la, nous deux, dans ce trou de musaraigne ? Nagez, je vous suis de loin !

Et aussitot redressee, la grande femme avait saisi la perche, l'enfoncait dans l'eau et d'une vigoureuse poussee au fond arrachait le bateau a la vase. Gauthier n'avait pas insiste. Il s'etait mis a la nage, le fond ne permettant pas de marcher, et se dirigeait rapidement vers une petite crique d'ou venaient maintenant des cris aigus et des jurons. Le geant nageait comme un poisson. Son corps puissant fendait l'eau avec la surete, la rapidite d'une couleuvre d'eau et Sara avait du mal a le suivre. Agenouillee a l'avant, le cou tendu, Catherine regardait passionnement. Son sejour a Rouen l'avait familiarisee avec les uniformes anglais et elle n'avait meme pas peur. Simplement, elle etait curieuse de voir ce que son etrange garde du corps allait faire.

Bientot, la crique fut en vue, une anse d'eau vert sombre sous l'ombrage de grands pins dont les branches s'etendaient, raides et noires, au-dessus de la riviere. Sara abrita la barque dans un buisson de lys d'eau d'ou il etait possible de voir sans etre vu. Les Anglais etaient la, tournant le dos au courant. Quatre hommes qui tentaient de maitriser deux filles dont les cris d'angoisse emplissaient l'air. L'une d'elles, deja immobilisee, hurlait sous un gigantesque archer roux qui, d'une main appliquee brutalement sur son visage, lui plaquait la tete au sol et de l'autre arrachait sa robe. Les trois autres etaient occupes a ficeler les mains de sa compagne a deux troncs de pins et riaient si fort que leurs eclats couvraient presque les cris de leur victime.

Catherine vit Gauthier prendre pied a la berge, se dresser dans l'eau, lentement, pour ne pas reveler sa presence. Sa main descendit jusqu'a sa ceinture,

empoigna la hache, fit un geste rapide tandis qu'un veritable hurlement s'arrachait de sa gorge. La hache fila avec un sifflement sinistre et alla se planter juste entre les deux epaules de l'archer roux. Le rugissement de douleur de l'homme et le cri de Gauthier firent retourner les trois autres, mais deja le geant avait pris pied sur l'herbe courte de la berge et, tirant vivement une dague dissimulee sous sa tunique, faisait face, attendant le choc. D'ou elles etaient, les deux femmes pouvaient voir les faces rouges et sauvages des trois soldats. Ils avaient tire leur glaive et marchaient a petits pas sur l'homme seul, comptant visiblement en avoir raison sans peine. Lui, accule a la riviere, semblait un sanglier en face des chasseurs. Brusquement, le choc eut lieu. Les soldats, d'un meme mouvement, bondirent sur Gauthier l'epee haute, et Sara reprit sa perche.

— S'il a le dessous, nous fuirons aussi vite que nous pourrons, souffla-t-elle.

— Il n'aura pas le dessous, repondit Catherine avec un geste d'impatience. Tiens-toi tranquille ! Regarde !

En effet, le grand Normand, comme un b?uf secoue des mouches, se debarrassait de ses agresseurs avec une rapidite qui tenait du miracle. Il en avait desequilibre un en l'attirant brusquement a lui, et, profitant de la surprise des deux autres, l'avait vivement poignarde avant de le jeter comme un projectile dans les jambes des deux autres qui, atteints, roulerent a terre. Gauthier ne perdit pas une seconde. Rapide comme l'eclair, il sauta sur l'un d'eux. De nouveau, la dague disparut dans une gorge. Tout de suite redresse, il voulut s'attaquer au dernier, mais celui-ci n'avait pas demande son reste. A

peine sur pied, il avait pris la fuite et courait maintenant a travers champs, sautant les talus comme un cabri.

Autour du Normand, il y avait trois cadavres. Le grand archer roux agonisait. Une large tache rouge s'etendait sur sa tunique verte. Mais la fille qu'il tenait ne criait plus. Les mains convulsives de l'Anglais, nouees a sa gorge, achevaient de l'etrangler. En revanche, l'autre etait vivante. Toujours attachee, elle attendait calmement qu'on vint la delivrer. Catherine entendit qu'elle disait quelque chose, mais ne comprit pas le sens des paroles. Gauthier se pencha, coupa les cordes et la femme se redressa. Sa robe avait ete tellement malmenee qu'elle pendait, en longues bandes dechirees, autour de ses hanches. Seuls, ses longs cheveux couleur de ble mur couvraient ses epaules et sa gorge pleine, mais elle semblait n'avoir cure de sa nudite. Stupefaite, Catherine la vit s'avancer vers le Normand, se glisser contre lui et se hausser sur la pointe des pieds jusqu'a ce que leurs levres se touchassent.

— Oh ! fit Sara suffoquee. C'est trop fort !

— Pourquoi ? repondit Catherine. Chacun remercie comme il peut !

— C'est entendu, mais regarde-les... regarde cette fille : elle s'offre, ma parole !

C'etait vrai, et Catherine, malgre elle, fronca les sourcils. La fille blonde etait belle ; son corps rose avait la purete, la plenitude d'un marbre et, en voyant les mains de l'homme se poser sur ses hanches, la jeune femme sentit une boule se nouer dans sa gorge. Mais elle s'etait meprise sur le geste. Le geant, simplement, ecartait de lui celle qu'il avait sauvee, posait un baiser rapide sur le bout de son nez et, sans se retourner, revenait a la riviere dans laquelle, sans une hesitation, il se jeta. Catherine entendit l'appel de celle qu'il avait quittee, vit le geste derisoire de ses bras pour retenir l'homme.

Mais les bras retomberent, la paysanne haussa les epaules et disparut bientot sous le couvert des arbres.

— Allons-y ! fit Sara en lancant le bateau dans le courant.

Quelques secondes plus tard, Gauthier se hissait sur le plat-bord, ruisselant, haletant. Il adressa a Catherine un sourire qui decouvrit ses fortes dents blanches.

— Voila ! c'est fini. Nous pouvons repartir.

Mais la langue de Sara la demangeait. Elle ne pouvait plus retenir ce qu'elle avait envie de dire.

— Bravo ! dit-elle ironiquement. Mais pourquoi donc n'avoir pas accepte le beau cadeau qu'on vous offrait ?

L'homme regardait toujours Catherine et ce fut a elle, qui ne demandait rien, qu'il repondit :

— Pour ne pas vous faire attendre.

— Sinon ? demanda la jeune femme.

— Sinon... pourquoi pas ? Il faut prendre de la vie ce qu'elle offre, quand elle l'offre.

— A merveille ! s'ecria Sara outree. Et les quatre cadavres ne vous auraient pas genes, j'imagine.

Cette fois, Gauthier Malencontre daigna s'adresser a elle. Il laissa peser sur la bohemienne un regard lourd et grave.

— L'amour est frere de la mort. Dans les temps cruels qui sont les notres, ils sont les seules choses qui comptent.

Il avait repris la conduite de l'embarcation et, de nouveau, le bateau glissait sous le treillage vert des arbres. Pendant un long moment, on voyagea en silence. Serrees l'une contre l'autre, a l'avant du bateau, les deux femmes semblaient plongees dans leurs pensees profondes. Mais Catherine voulait encore savoir quelque chose. Elle se retourna.

— Tout a l'heure, dit-elle, quand les Anglais ont saute sur toi, tu as pousse un cri... on aurait dit un appel, un nom !...

— C'en etait un. Les vieux guerriers venus du Nord par la route des cygnes et dont je porte le sang dans mes veines poussaient ce cri au moment du combat.

— Tu n'es pas chevalier pourtant, pas meme soldat !... remarqua la jeune femme avec un inconscient dedain qui n'echappa pas-a l'ancien bucheron.

Mon sang en est-il moins pur ? Les fils des anciens rois de la mer ne sont pas tous dans des chateaux et je sais plus d'un noble dont les ancetres peinaient sous le fouet des Vikings. Moi je descends d'un grand chef qui se nommait Bjorn-Cotes-de-Fer, ajouta- t-il en frappant du poing sa poitrine qui resonna comme un tambour, et j'ai le droit d'invoquer Odin a l'heure de la bataille !

— Odin ?

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