Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 64
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Et, sans meme permettre a Catherine de reprendre ses vetements, elle l'entraina en courant a travers les salles et les galeries jusqu'au pavillon, l'un des plus modestes du grand harem ou elle avait loge sa nouvelle acquisition.
La, Catherine n'eut meme pas le temps de poser des questions. Le desir du Calife suscitait un veritable branle-bas de combat qui ne laissait guere de place a la reflexion. Livree a une armee de masseuses, parfumeuses, pedicures, coiffeuses et habilleuses, la jeune femme jugea plus sage de se laisser faire passivement. De toute facon, il pouvait etre utile d'approcher le Calife... d'aussi pres. Qui pouvait dire si elle ne parviendrait pas a prendre sur lui une certaine influence
? Quant aux... contingences qu'impliquait l'intimite avec le roi de Grenade, Catherine n'en etait plus a s'en effaroucher. D'abord elle n'aurait certainement pas le choix. Toute resistance risquerait a la fois de detruire ses plans et de mettre en danger la vie d'Arnaud, la sienne propre et celle de leurs amis. Et puis, lorsque l'on fait la guerre, on la fait completement et l'on evite de se montrer difficile sur le choix des moyens.
L'un assis, jambes croisees, sur un divan garni de tapis soyeux, l'autre debout a quelques pas dans le nuage tendre de ses voiles roses, le calife Muhammad VIII et Catherine se regardaient. L'un avec une claire admiration, l'autre avec une mefiance teintee de surprise. Dieu sait pourquoi - peut-etre a cause du portrait inquietant qu'on lui avait trace de Zobeida -, la jeune femme etait certaine de trouver en son frere aine un homme arrogant, brutal, cynique, une sorte de Gilles de Rais double de La Tremoille...
Or, le prince qui la regardait ne ressemblait en rien a ce qu'elle attendait. Il pouvait avoir entre trente-cinq et quarante ans, mais, chose extraordinaire pour un Maure, sa tete sans turban etait couverte d'une epaisse toison d'un blond fonce qui se retrouvait dans la courte barbe ornant son visage basane. Des yeux clairs, gris ou bleus, tranchaient eux aussi sur cette peau foncee qui, dans le sourire, revela de fortes dents blanches. D'un geste vif, Muhammad repoussa le rouleau de papier de coton sur lequel, a l'aide d'un calame, il ecrivait a l'entree de la jeune femme et de Morayma.
Sans dire un mot, il les avait regardees approcher le long du chemin d'eau et de cypres qui menait au portique sous lequel il se tenait. La route jusque-la avait ete longue, passant sous les murailles et empruntant un chemin couvert avant de s'elancer a travers les jardins, jusqu'a ce petit palais assailli par les roses qui couronnaient la colline voisine d'Al Hamra. C'etait le Djenan- el-Arif1
1 Devenu, Dieu sait pourquoi, le Generalife.
le Jardin de l'Architecte, ou, l'ete, le Calife aimait a se retirer. Plus encore que le Serail, c'etait la le sejour des roses et du jasmin. Roses sombres comme un velours pourpre ou blanches au c?ur rose comme la neige sous l'aurore, elles envahissaient la colline, se penchaient sur les miroirs d'eau, montaient a l'assaut des blanches colonnes des portiques et embaumaient la nuit bleue, scintillante d'etoiles. Au bord de ce palais fait pour l'amour, l'atmosphere avait quelque chose de grisant qui alourdissait les paupieres de Catherine et faisait battre ses tempes tandis que le sang, dans ses veines, alanguissait sa course.
Muhammad n'avait rien repondu lorsque Morayma, prosternee, lui avait dit la joie qui etait celle de la nouvelle odalisque en se voyant choisie des la premiere nuit, ni lorsqu'elle avait vante la beaute, la douceur de Lumiere de l'Aurore, la Perle du pays des Francs, l'eclat de ses yeux aux profondeurs d'amethyste, la souplesse de son corps...
Mais quand, relevee, la vieille juive avait voulu detacher les voiles de mousseline qui faisaient de la jeune femme un paquet rose et nuageux, il l'avait arretee d'un geste autoritaire puis il avait ordonne :
— Retire-toi, Morayma. Je te ferai appeler plus tard...
Et ils etaient demeures seuls. Alors, le Calife s'etait leve. 11 etait moins grand que Catherine n'aurait cru, ses jambes paraissant trop courtes pour le torse puissant que revelait la gandoura de soie verte, fendue sur la poitrine jusqu'a la taille et serree dans une large ceinture d'orfevrerie plaquee de grosses emeraudes carrees. En s'approchant de la jeune femme, il avait souri.
— Ne tremble pas. Je ne te veux aucun mal !
Il avait parle francais et Catherine ne cacha pas son etonnement.
— Je ne tremble pas. Pourquoi le ferais-je d'ailleurs ? Mais comment connaissez-vous ma langue ?
Le sourire s'accentua. Muhammad etait maintenant tout pres de la jeune femme qui pouvait respirer le leger parfum de cuir et de verveine que degageaient ses vetements. — J'ai toujours aime a m'instruire et les voyageurs venus de ton pays ont de tout temps ete bien accueillis ici. Un souverain doit pouvoir comprendre les ambassadeurs qui lui sont envoyes chaque fois que cela est possible. Les interpretes sont trop souvent infideles... ou vendus !
Un captif, un saint homme de ton pays, m'a appris cette langue lorsque j'etais enfant... et tu n'es pas la premiere femme venue d'au-dela des grandes montagnes qui penetre dans ce palais.
Catherine, se rappelant Marie, pensa qu'en effet l'explication etait plus que valable et ne repondit pas. D'ailleurs les longs doigts minces de Muhammad s'occupaient a detacher le voile qui couvrait sa tete et le bas de son visage. Il le faisait lentement, doucement, avec la delicatesse de l'amateur d'art qui deballe une ?uvre precieuse longtemps desiree. Le doux visage couronne d'or roux apparut sous la petite calotte ronde grillagee de perles fines, puis le long cou mince et gracieux. Un autre voile tomba, puis un autre encore. Morayma, en artiste consommee pour laquelle le desir d'un homme n'a pas beaucoup de secrets, les avait multiplies, sachant le plaisir que prendrait son maitre a les detacher un a un. Sous leurs multiples feuilles legeres, Catherine ne portait rien qu'un ample pantalon plisse fait du meme voile leger, resserre aux chevilles et retenu a la pointe des hanches par des tresses de perles. Mais la jeune femme ne bougeait pas. Elle laissait agir les mains souples qui, a mesure que diminuait l'epaisseur de tissus, se faisaient plus caressantes. Elle avait envie de plaire . a cet homme, seduisant d'ailleurs, qui semblait deja tellement pris par son charme, se montrait doux avec elle et ne lui demandait, apres tout, qu'une heure de plaisir... ce plaisir que Gilles de Rais avait pris de force, que Fero le Gitan avait obtenu au moyen d'un philtre, qu'elle avait failli donner a Pierre de Breze et qu'elle avait offert si spontanement a Gauthier. Tant d'hommes, deja, etaient passes dans sa vie ! Celui-la n'etait certes pas le pire.
Bientot, les mousselines joncherent les dalles de lapis-lazuli comme de gigantesques petales tombes d'une rose. Les mains du sultan caressaient maintenant la peau nue, s'y attardaient en longs effleurements, mais il ne s'approchait pas encore. Il la regardait... se reculant meme de. quelques pas pour mieux la contempler sous la lueur douce qui l'environnait, tombant des lampes d'or pendues aux arcades. De longues minutes, ils demeurerent ainsi, elle debout offrant sans honte la splendeur de sa beaute, lui a demi agenouille a quelques pas. Dans la profondeur noire des hauts cypres du jardin, un rossignol laissa couler une cascade de notes claires et Catherine se souvint de celui qui avait chante lorsqu'elle avait franchi la haute porte rouge d'Al Hamra. C'etait peut-etre le meme petit chanteur ?...
Mais deja, en contrepoint, la voix de Muhammad s'elevait doucement dans la nuit :
« Je cueillais au jardin la rose de l'aurore - La voix du rossignol est venue me saisir.
Il souffre, comme moi, de l'amour d'une rose
Et remplit le matin du bruit de ses sanglots.
Je parcourais sans fin les plaintives allees
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