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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 63


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Sur l'ordre de la vieille juive, elle avait dormi deux heures apres son repas et ses oreilles bourdonnaient. Un vacarme de voliere en folie emplissait la salle ou une cinquantaine de femmes babillaient toutes a la fois. Une frise d'esclaves, noires le plus souvent, entourait la vasque pleine d'eau tiede et bleue, ou s'ebattaient une troupe de jolies filles, riant, criant, piaillant et s'amusant le plus souvent a s'eclabousser. La piscine offrait le spectacle d'une tempete minuscule, mais son eau etait si transparente qu'elle ne cachait rien, ou bien peu, du corps des baigneuses. Toutes les couleurs de peaux se montraient dans ce cadre fastueux et charmant. Bronze fonce des filles d'Afrique aux hanches minces, aux seins pointus, ivoire doux des Asiatiques, albatre rose de quelques Occidentales voisinaient avec l'ambre des Mauresques.

Catherine vit des chevelures noires, rousses, acajou et meme d'un blond presque blanc, des yeux de toutes nuances, entendit des voix de tous les registres. Mais

son entree sous l'egide de la Maitresse du Harem fit taire tout ce monde et calma instantanement l'agitation de la piscine. Toutes les femmes s'immobiliserent, tous les regards se tournerent vers la nouvelle venue que Morayma en personne devetait prestement sur le dallage chatoyant et Catherine, avec un frisson desagreable, vit que l'expression de toutes ces femmes etait rigoureusement la meme : l'hostilite totale.

Catherine en eut conscience immediatement et en eprouva un malaise. Tous ces yeux ennemis qui la detaillaient car ceux des esclaves n'etaient pas moins hostiles que ceux de leurs maitresses, la brulaient comme des charbons incandescents. Cependant Morayma flaira l'atmosphere aussi rapidement. Sa voix dure s'eleva.

— Celle-ci s'appelle Lumiere de l'Aurore. C'est une captive achetee a Almeria. Tachez qu'il ne lui arrive rien de facheux, sinon les nerfs d'hippopotame siffleront ! Je n'admettrai ni le bord trop glissant de la piscine, ni le malaise dans le bain, ni l'indigestion de sucreries, ni la corniche qui se detache subitement, ni la vipere egaree dans les jardins, ni aucun autre accident ! Souvenez-vous-en ! Et toi, va prendre ton bain.

Un murmure de mecontentement accueillit ce petit discours que Catherine n'avait pu ecouter sans un leger frisson, mais personne n'osa protester. Neanmoins, en trempant le bout de son pied nu dans l'eau parfumee du bain, Catherine eut l'impression de descendre dans une fosse pleine de serpents. Tous ces corps minces et luisants en avaient la souplesse dangereuse et toutes ces bouches aux levres fraiches semblaient pretes a cracher le venin.

Elle nagea quelques instants sans enthousiasme. On s'ecartait d'elle avec mefiance et elle n'avait aucune envie de prolonger ce bain sans agrement. Deja, elle se rapprochait du bord pour se remettre aux mains des deux esclaves que l'on avait attribuees a son service et qui l'attendaient avec d'epaisses serviettes de coton pour la secher.

Soudain, elle s'apercut qu'une fille blonde qui reposait sur des coussins poses sur le bord de la piscine, un joli corps rond et frais, tout en fossettes et en chair rose, lui souriait franchement.

Machinalement, elle s'approcha. Le sourire de la jeune fille s'accentua. Elle quitta meme sa pose nonchalante, tendit a Catherine une main un peu trop large pour une femme.

— Viens t'etendre pres de moi et ne fais pas attention aux autres.

C'est toujours ainsi quand il arrive une nouvelle. Tu comprends, une autre compagne, c'est toujours risquer une favorite dangereuse.

— Pourquoi dangereuse ? Toutes ces femmes sont- elles donc amoureuses du Calife ?

— Seigneur, non !... Bien qu'il ne manque pas de charme.

La jeune fille n'en dit pas plus. Elle avait en effet, instinctivement, cesse de parler arabe et employe le francais et Catherine avait tressailli.

— Tu es de France ? fit-elle dans la meme langue.

— Mais... oui, du pays de Saone. Je suis nee a Auxonne. La-bas, ajouta-t-elle avec une sombre tristesse, on m'appelait Marie Vermeil.

Ici, on m'appelle Aicha. Mais toi, tu es aussi de chez nous ?

— Et plus que tu ne penses ! fit Catherine en riant. Je suis nee a Paris, mais j'ai ete elevee a Dijon ou mon oncle, Mathieu Gautherin, tenait commerce de draps dans la rue du Griffon, a l'enseigne du Grand Saint Bonaventure...

— Mathieu Gautherin ? repeta Marie, songeuse. Je connais ce nom-la... D'ailleurs, c'est drole, mais il me semble que je t'ai deja vue.

Ou, par exemple ?

Elle s'interrompit. Glissant dans l'eau azuree, le corps dore d'une belle Mauresque s'approchait d'elles, nageant avec souplesse. Deux prunelles vertes tigrees d'or dardaient sur les deux femmes, presque au ras de l'eau, un regard haineux. Hativement, Marie chuchota : Mefie-toi de celle-la ! c'est Zorah, la favorite actuelle. Les vautours qui tournoient sur la tour des Executions ont plus de tendresse que cette vipere. Elle est plus mauvaise encore que la princesse Zobeida parce que la princesse dedaigne la perfidie que Zorah pratique en artiste Si tu plais au Maitre, tu auras tout a craindre de cette Egyptienne.

Catherine n'eut pas le temps de poser d'autres questions. Jugeant sans doute qu'elle avait assez bavarde avec Marie-Aicha, Morayma s'approchait avec les deux esclaves noires.

— Nous parlerons plus tard, murmura encore Marie avant de se laisser tomber, avec grace, dans l'eau parfumee avec tant de precision que Zorah dut s'ecarter pour ne pas recevoir la jeune fille sur le dos.

Bien qu'a peu pres seche, Catherine laissa les deux femmes l'etriller consciencieusement puis enduire son corps d'une huile legere qui lui donna la douce patine de l'or clair. Mais comme elle allait enfiler la gandoura de soie rayee qu'elle portait en arrivant, Morayma s'y opposa.

— Non. Tu ne t'habilles pas tout de suite. Viens avec moi.

A la suite de la Juive, Catherine traversa plusieurs salles de bains, chauds ou froids, pour aboutir dans une piece aux fines arcades toutes decorees d'entrelacs bleus, roses et or. Une galerie fermee par des jalousies dorees courait tout autour, a la hauteur du premier etage.

Des lits, monceaux de coussins multicolores, s'etalaient au fond des alcoves menagees entre les colonnes et, sur ces lits, cinq ou six tres belles filles, sans le moindre voile, etaient etendues, nonchalantes et gracieuses, Morayma designa a Catherine le seul lit demeure vide.

— Mets-toi la !

— Pour quoi faire ?

— Tu le verras bien. Ce ne sera pas long...

Des voix de femmes, chantant une chanson monotone et douce, se faisaient entendre sans que l'on put voir les chanteuses, mais, dans la salle, personne ne parlait. Ayant oblige Catherine a s'etendre dans une pose seduisante, Morayma etait venue se poster au centre de la salle ou, dans une vasque de marbre, murmurait un jet d'eau. Elle levait la tete vers la galerie fermee, comme si elle attendait quelque chose.

Intriguee, Catherine regarda dans cette direction.

Il lui sembla deviner une silhouette derriere les minces lattes dorees, une silhouette si parfaitement immobile que Catherine se demanda si elle n'etait pas victime d'une illusion. Tout cela, ce bain, cette vie lente, exasperait son impatience d'atteindre enfin son epoux.

Que faisait-elle sur ce divan, nue au milieu d'autres femmes aussi devetues ?... La reponse ne se fit pas attendre. Une main souleva une jalousie, lanca quelque chose qui vint rouler sur le lit qu'occupait Catherine. Vivement redressee, Catherine se pencha, intriguee. Elle vit qu'il s'agissait d'une simple pomme et voulut la ramasser. Mais, plus rapide qu'elle, Morayma l'avait devancee et s'emparait du fruit.

Catherine vit qu'elle etait rouge d'excitation et que ses petits yeux brillaient de joie.

— Le Maitre t'a choisie ! lui jeta la maitresse du harem. Et tu viens a peine d'arriver ! Cette nuit meme tu seras admise a l'honneur de la couche royale. Viens vite. Nous avons tout juste le temps de te preparer. Le Maitre est presse.

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