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Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 60


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Outre ce, la facon d'argumenter, de laquelle se sert icy Socrates, est-elle pas admirable esgallement, en simplicite et en vehemence? Vrayment il est bien plus aise, de parler comme Aristote, et vivre comme C?sar, qu'il n'est aise de parler et vivre comme Socrates. La, loge l'extreme degre de perfection et de difficulte: l'art n'y peut joindre. Or nos facultez ne sont pas ainsi dressees. Nous ne les essayons, ny ne les cognoissons: nous nous investissons de celles d'autruy, et laissons chomer les nostres.

Comme quelqu'un pourroit dire de moy: quej'ay seulement faict icy un amas de fleurs estrangeres, n'y ayant fourny du mien, que le filet a les lier. Certes j'ay donne a l'opinion publique, que ces parements empruntez m'accompaignent: mais je n'entends pas qu'ils me couvrent, et qu'ils me cachent: c'est le rebours de mon dessein. Qui ne veux faire montre que du mien et de ce qui est mien par nature: Et si je m'en fusse creu, a tout hazard, j'eusse parle tout fin seul. Je m'en charge de plus fort, tous les jours, outre ma proposition et ma forme premiere, sur la fantasie du siecle: et par oisivete. S'il me messied a moy, comme je le croy, n'importe: il peut estre utile a quelque autre. Tel allegue Platon et Homere, qui ne les vid onques: et moy, ay prins des lieux assez, ailleurs qu'en leur source. Sans peine et sans suffisance, ayant mille volumes de livres, autour de moy, en ce lieu ou j'escris, j'emprunteray presentement s'il me plaist, d'une douzaine de tels ravaudeurs, gens que je ne fueillette guere, dequoy esmailler le traicte de la Physionomie. Il ne faut que l'epitre liminaire d'un Allemand pour me farcir d'allegations: et nous allons quester par la une friande gloire, a piper le sot monde.

Ces pastissages de lieux communs, dequoy tant de gents mesnagent leur estude, ne servent guere qu'a subjects communs: et servent a nous montrer, non a nous conduire: ridicule fruict de la science, que Socrates exagite si plaisamment contre Euthydemus. J'ay veu faire des livres de choses, ny jamais estudiees ny entendues: l'autheur commettant a divers de ses amis scavants, la recherche de cette-cy, et de cette autre matiere, a le bastir: se contentant pour sa part, d'en avoir projette le dessein, et lie pat son industrie, ce fagot de provisions incogneues: au moins est sien l'ancre, et le papier. Cela, c'est achetter, ou emprunter un livre, non pas le faire. C'est apprendre aux hommes, non qu'on scait faire un livre, mais, ce dequoy ils pouvoient estre en doute, qu'on ne le scait pas faire. Un President se ventoit ou j'estois, d'avoir amoncele deux cens tant de lieux estrangers, en un sien arrest presidental: En le preschant, il effacoit la gloire qu'on luy en donnoit. Pusillanime et absurde venterie a mon gre, pour un tel subject et telle personne. Je fais le contraire: et parmy tant d'emprunts, suis bien aise d'en pouvoir desrober quelqu'un: le desguisant et difformant a nouveau service. Au hazard, que je laisse dire, que c'est par faute d'avoir entendu son naturel usage, je luy donne quelque particuliere adresse de ma main, a ce qu'il en soit d'autant moins purement estranger. Ceux-cy mettent leurs larrecins en parade et en conte. Aussi ont-ils plus de credit aux loix que moy. Nous autres naturalistes, estimons, qu'il y aye grande et incomparable preference, de l'honneur de l'invention, a l'honneur de l'allegation.

Si j'eusse voulu parler par science, j'eusse parle plustost. J'eusse escrit du temps plus voisin de mes estudes, que j'avois plus d'esprit et de memoire. Et me fusse plus fie a la vigueur de cet aage la, qu'a cettuy-cy, si j'eusse voulu faire mestier d'escrire. Et quoy, si cette faveur gratieuse, que la fortune m'a n'aguere offerte par l'entremise de cet ouvrage, m'eust peu rencontrer en telle saison au lieu de celle-cy; ou elle est egallement desirable a posseder, et preste a perdre? Deux de mes cognoissans, grands hommes en cette faculte, ont perdu par moitie, a mon advis, d'avoir refuse de se mettre au jour, a quarante ans, pour attendre les soixante. La maturite a ses deffaux, comme la verdeur, et pires: Et autant est la vieillesse incommode a cette nature de besongne, qu'a toute autre. Quiconque met sa decrepitude soubs la presse, faict folie, s'il espere en espreindre des humeurs, qui ne sentent le disgratie, le resveur et l'assoupy. Nostre esprit se constipe et s'espessit en vieillissant. Je dis pompeusement et opulemment l'ignorance, et dis la science maigrement et piteusement. Accessoirement cette-cy, et accidentalement: celle-la expressement, et principallement. Et ne traicte a poinct nomme de rien, que du rien: ny d'aucune science, que de celle de l'inscience. J'ay choisi le temps, ou ma vie, que j'ay a peindre, je l'ay toute devant moy: ce qui en reste, tient plus de la mort. Et de ma mort seulement, si je la rencontrois babillarde, comme font d'autres, donrois-je encores volontiers advis au peuple, en deslogeant.

Socrates a este un exemplaire parfaict en toutes grandes qualitez: J'ay despit, qu'il eust rencontre un corps si disgratie, comme ils disent, et si disconvenable a la beaute de son ame. Luy si amoureux et si affole de la beaute. Nature luy fit injustice. Il n'est rien plus vray-semblable, que la conformite et relation du corps a l'esprit. Ipsi animi, magni refert, quali in corpore locati sint: multa enim e corpore existunt, qu? acuant mentem: multa, qu? obtundant . Cettuy-cy parle d'une laideur desnaturee, et difformite de membres: mais nous appellons laideur aussi, une mesavenance au premier regard, qui loge principallement au visage: et nous desgoute par le teint, une tache, une rude contenance, par quelque cause souvent inexplicable, en des membres pourtant bien ordonnez et entiers. La laideur, qui revestoit une ame tres-belle en la Boittie, estoit de ce predicament. Cette laideur superficielle, qui est toutesfois la plus imperieuse, est de moindre prejudice a l'estat de l'esprit: et a peus de certitude en l'opinion des hommes. L'autre, qui d'un plus propre nom, s'appelle difformite plus substantielle, porte plus volontiers coup jusques au dedans. Non pas tout soulier de cuir bien lisse, mais tout soulier bien forme, montre l'interieure forme du pied.

Comme Socrates disoit de la sienne, qu'elle en accusoit justement, autant en son ame, s'il ne l'eust corrigee par institution. Mais en le disant, je tiens qu'il se mocquoit, suivant son usage: et jamais ame si excellente, ne se fit elle-mesme.

Je ne puis dire assez souvent, combien j'estime la beaute, qualite puissante et advantageuse. Il l'appelloit, une courte tyrannie: Et Platon, le privilege de nature. Nous n'en avons point qui la surpasse en credit. Elle tient le premier rang au commerce des hommes: Elle se presente au devant: seduict et preoccupe nostre jugement, avec grande authorite et merveilleuse impression. Phryne perdoit sa cause, entre les mains d'un excellent Advocat, si, ouvrant sa robbe, elle n'eust corrompu ses juges, par l'esclat de sa beaute. Et je trouve, que Cyrus, Alexandre, C?sar, ces trois maistres du monde, ne l'ont pas oubliee a faire leurs grands affaires. Non a pas le premier Scipion. Un mesme mot embrasse en Grec le bel et le bon. Et le S. Esprit appelle souvent bons, ceux qu'il veut dire beaux. Je maintiendroy volontiers le rang des biens, selon que portoit la chanson, que Platon dit avoir este triviale, prinse de quelque ancien Poete: La sante, la beaute, la richesse. Aristote dit, appartenir aux beaux, le droict de commander: et quand il en est, de qui la beaute approche celle des images des Dieux, que la veneration leur est pareillement deue. A celuy qui luy demandoit, pourquoy plus long temps, et plus souvent, on hantoit les beaux: Cette demande, feit-il, n'appartient a estre faicte, que par un aveugle. La plus-part et les plus grands Philosophes, payerent leur escholage, et acquirent la sagesse, par l'entremise et faveur de leur beaute.

Non seulement aux hommes qui me servent, mais aux bestes aussi, je la considere a deux doigts pres de la bonte. Si me semble-il, que ce traict et facon de visage, et ces lineaments, par lesquels on argumente aucunes complexions internes, et nos fortunes a venir, est chose qui ne loge pas bien directement et simplement, soubs le chapitre de beaute et de laideur: Non plus que toute bonne odeur, et serenite d'air, n'en promet pas la sante: ny toute espesseur et puanteur, l'infection, en temps pestilent. Ceux qui accusent les dames, de contre-dire leur beaute par leurs moeurs, ne rencontrent pas tousjours. Car en une face qui ne sera pas trop bien composee, il peut loger quelque air de probite et de fiance: Comme au rebours, j'ay leu par fois entre deux beaux yeux, des menasses d'une nature maligne et dangereuse. Il y a des physionomies favorables: et en une presse d'ennemis victorieux, vous choisirez incontinent parmy des hommes incogneus, l'un plustost que l'autre, a qui vous rendre et fier vostre vie: et non proprement par la consideration de la beaute.

C'est une foible garantie que la mine, toutesfois elle a quelque consideration. Et si j'avois a les foyter, ce seroit plus rudement, les meschans qui dementent et trahissent les promesses que nature leur avoit plantees au front. Je punirois plus aigrement la malice, en une apparence debonnaire. Il semble qu'il y ait aucuns visages heureux, d'autres mal-encontreux: Et crois, qu'il y a quelque art, a distinguer les visages debonnaires des niais, les severes des rudes, les malicieux des chagrins, les desdaigneux des melancholiques, et telles autres qualitez voisines. Il y a des beautez, non fieres seulement, mais aigres: il y en a d'autres douces, et encores au dela, fades. D'en prognostiquer les avantures futures; ce sont matieres que je laisse indecises.

J'ay pris, comme j'ay dict ailleurs, bien simplement et cruement, pour mon regard, ce precepte ancien: Que nous ne scaurions faillir a suivre nature: que le souverain precepte, c'est de se conformer a elle. Je n'ay pas corrige comme Socrates, par la force de la raison, mes complexions naturelles: et n'ay aucunement trouble par art, mon inclination. Je me laisse aller, comme je suis venu. Je ne combats rien. Mes deux maistresses pieces vivent de leur grace en paix et bon accord: mais le laict de ma nourrice a este, Dieu mercy, mediocrement sain et tempere.

Diray-je cecy en passant: que je voy tenir en plus de prix qu'elle ne vaut, qui est seule quasi en usage entre nous, certaine image de preud'hommie scholastique, serve des preceptes, contraincte soubs l'esperance et la crainte? Je l'aime telle que loix et religions, non facent, mais parfacent, et authorisent: qui se sente dequoy se soustenir sans aide: nee en nous de ses propres racines, par la semence de la raison universelle, empreinte en tout homme non desnature. Cette raison, qui redresse Socrates de son vicieux ply, le rend obeissant aux hommes et aux Dieux, qui commandent en sa ville: courageux en la mort, non parce que son ame est immortelle, mais parce qu'il est mortel. Ruineuse instruction a toute police, et bien plus dommageable qu'ingenieuse et subtile, qui persuade aux peuples, la religieuse creance suffire seule, et sans les moeurs, a contenter la divine justice. L'usage nous faict veoir, une distinction enorme, entre la devotion et la conscience.

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