Выбери любимый жанр

Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 57


Изменить размер шрифта:

57

Monstrueuse guerre: Les autres agissent au dehors, ceste-cy encore contre soy: se ronge et se desfaict, par son propre venin. Elle est de nature si maligne et ruineuse, qu'elle se ruine quand et quand le reste: et se deschire et despece de rage. Nous la voyons plus souvent, se dissoudre par elle mesme, que par disette d'aucune chose necessaire, ou par la force ennemie. Toute discipline la fuit. Elle vient guerir la sedition, et en est pleine. Veut chastier la desobeissance, et en monstre l'exemple: et employee a la deffence des loix, faict sa part de rebellion a l'encontre des siennes propres: Ou en sommes nous? Nostre medecine porte infection.

Nostre mal s'empoisonne

Du secours qu'on luy donne .

Exuperat magis ?grescitque medendo .

Omnia fanda nefanda malo permista furore,

Justificam nobis mentem avertere Deorum .

En ces maladies populaires, on peut distinguer sur le commencement, les sains des malades: mais quand elles viennent a durer, comme la nostre, tout le corps s'en sent, et la teste et les talons: aucune partie n'est exempte de corruption. Car il n'est air, qui se hume si gouluement: qui s'espande et penetre, comme faict la licence. Nos armees ne se lient et tiennent plus que par simant estranger: des Francois on ne scait plus faire un corps d'armee, constant et regle: Quelle honte? Il n'y a qu'autant de discipline, que nous en font voir des soldats empruntez. Quant a nous, nous nous conduisons a discretion, et non pas du chef; chacun selon la sienne: il a plus affaire au dedans qu'au dehors. C'est au commandement de suivre courtizer, et plier: a luy seul d'obeir: tout le reste est libre et dissolu. Il me plaist de voir, combien il y a de laschete et de pusillanimite en l'ambition: par combien d'abjection et de servitude, il luy faut arriver a son but. Mais cecy me deplaist-il de voir, des natures debonnaires, et capables de justice, se corrompre tous les jours, au maniement et commandement de ceste confusion. La longue souffrance, engendre la coustume; la coustume, le consentement et l'imitation. Nous avions assez d'ames mal nees, sans gaster les bonnes et genereuses. Si que, si nous continvons, il restera mal-ayseement a qui fier la sante de cest estat, au cas que fortune nous la redonne.

Hunc saltem everso juvenem succurrere seclo,

Ne prohibete .

Qu'est devenu cest ancien precepte: Que les soldats ont plus a craindre leur chef, que l'ennemy? Et ce merveilleux exemple: Qu'un pommier s'estant trouve enferme dans le pourpris du camp de l'armee Romaine, elle fut veue l'endemain en desloger, laissant au possesseur, le comte entier de ses pommes, meures et delicieuses? J'aymeroy bien, que nostre jeunesse, au lieu du temps qu'elle employe, a des peregrinations moins utiles, et apprentissages moins honorables, elle le mist, moitie a veoir de la guerre sur mer, sous quelque bon Capitaine commandeur de Rhodes: moitie a recognoistre la discipline des armees Turkesques. Car elle a beaucoup de differences, et d'avantages sur la nostre. Cecy en est: que nos soldats deviennent plus licentieux aux expeditions: la: plus retenus et craintifs. Car les offenses ou larrecins sur le menu peuple, qui se punissent de bastonades en la paix, sont capitales en la guerre. Pour un oeuf prins sans payer, ce sont de conte prefix, cinquante coups de baston. Pour toute autre chose, tant legere soit elle, non necessaire a la nourriture, on les empale, ou decapite sans deport. Je me suis estonne, en l'histoire de Selim, le plus cruel conquerant qui fut onques, veoir, que lors qu'il subjugua l'?gypte, les beaux jardins d'autour de la ville de Damas, tous ouvers, et en terre de conqueste: son armee campant sur le lieu mesmes, furent laisse vierges des mains des soldats, parce qu'ils n'avoient pas eu le signe de piller.

Mais est-il quelque mal en une police, qui vaille estre combatu par une drogue si mortelle? Non pas disoit Favonius, l'usurpation de la possession tyrannique d'une republique. Platon de mesme ne consent pas qu'on face violence au repos de son pais, pour le guerir: et n'accepte pas l'amendement qui trouble et hazarde tout, et qui couste le sang et ruine des citoyens. Establissant l'office d'un homme de bien, en ce cas, de laisser tout la: seulement prier Dieu qu'il y porte sa main extraordinaire. Et semble scavoir mauvais gre a Dion son grand amy, d'y avoir un peu autrement procede.

J'estois Platonicien de ce coste la, avant que je sceusse qu'il y eust de Platon au monde. Et si ce personnage, doit purement estre refuse de nostre consorce: (luy, qui par la sincerite de sa conscience, merita envers la faveur divine, de penetrer si avant en la Chrestienne lumiere, au travers des tenebres publiques, du monde de son temps,) je ne pense pas, qu'il nous sie bien, de nous laisser instruire a un Payen, Combien c'est d'impiete, de n'atendre de Dieu, nul secours simplement sien, et sans nostre cooperation. Je doubte souvent, si entre tant de gens, qui se meslent de telle besoigne, nul s'est rencontre, d'entendement si imbecille, a qui on aye en bon escient persuade, qu'il alloit vers la reformation, par la derniere des difformations: qu'il tiroit vers son salut, par les plus expresses causes que nous ayons de trescertaine damnation: que renversant la police, le magistrat, et les loix, en la tutelle desquelles Dieu l'a colloque: remplissant de haines, parricides, les courages fraternels: appellant a son ayde, les diables et les furies: il puisse apporter secours a la sacrosaincte douceur et justice, de la loy divine. L'ambition, l'avarice, la cruaute, la vengeance, n'ont point assez de propre et naturelle impetuosite: amorcons-les et les attisons, par le glorieux titre de justice et devotion. Il ne se peut imaginer un pire estat des choses, qu'ou la meschancete vient a estre legitime: et prendre avec le conge du magistrat, le manteau de la vertu: Nihil in speciem fallacius, quam prava religio, ubi deorum numen pr?tenditur sceleribus . L'extreme espece d'injustice, selon Platon, c'est que, ce qui est injuste, soit tenu pour juste.

Le peuple y souffrit bien largement lors, non les dommages presens seulement,

undique totis,

Usque adeo turbatur agris ,

mais les futurs aussi. Les vivans y eurent a patir, si eurent ceux qui n'estoient encore nays. On le pilla, et moy par consequent, jusques a l'esperance: luy ravissant tout ce quil avoit a s'apprester a vivre pour longues annees,

Qu? nequeunt secum ferre aut abducere, perdunt,

Et cremat insontes turba scelesta a casas:

Muris nulla fides, squallent populatibus agri .

Outre ceste secousse, j'en souffris d'autres. J'encourus les inconveniens, que la moderation apporte en telles maladies. Je fus pelaude a toutes mains: Au Gibelin j'estois Guelphe, au Guelphe Gibelin: Quelqu'un de mes Poetes dict bien cela, mais je ne scay ou c'est. La situation de ma maison, et l'accointance des hommes de mon voisinage, me presentoient d'un visage: ma vie et mes actions d'un autre. Il ne s'en faisoit point des accusations formees: car il n'y avoit ou mordre. Je ne desempare jamais les loix: et qui m'eust recherche, m'en eust deu de reste. C'estoient suspicions muettes, qui couroient sous main, ausquelles il n'y a jamais faute d'apparence, en un meslange si confus, non plus que d'espris ou envieux ou ineptes. J'ayde ordinairement aux presomptions injurieuses, que la fortune seme contre moy: par une facon, que j'ay des tousjours, de fuyr a me justifier, excuser et interpreter: estimant que c'est mettre ma conscience en compromis, de playder pour elle. Perspicuitas enim, argumentatione elevatur : Et comme, si chacun voyoit en moy, aussi cler que je fay: au lieu de me tirer arriere de l'accusation, je m'y avance; et la renchery plustost, par une confession ironique et moqueuse: Si je ne m'en tais tout a plat, comme de chose indigne de response. Mais ceux qui le prennent pour une trop hautaine confiance, ne m'en veulent gueres moins de mal, que ceux, qui le prennent pour foiblesse d'une cause indefensible. Nommeement les grands, envers lesquels faute de sommission, est l'extreme: faute. Rudes a toute justice, qui se cognoist, qui se sent: non demise, humble et suppliante. J'ay souvent heurte a ce pillier. Tant y a que de ce qui m'advint lors, un ambitieux s'en fust pendu: si eust faict un avaritieux.

Je n'ay soing quelconque d'acquerir.

Sit mihi quod nunc est etiam minus, ut mihi vivam

Quod superest ?vi, si quid superesse volent dii .

Mais les pertes qui me viennent par l'injure d'autruy, soit larrecin, soit violence, me pincent, environ comme un homme malade et gehenne d'avarice. L'offence a sans mesure plus d'aigreur, que n'a la perte.

Mille diverses sortes de maux accoururent a moy a la file. Je les eusse plus gaillardement soufferts, a la foule. Je pensay desja, entre mes amis, a qui je pourrois commettre une vieillesse necessiteuse et disgratiee: Apres avoir rode les yeux par tout, je me trouvay en pourpoint. Pour se laisser tomber a plomb, et de si haut, il faut que ce soit entre les bras d'une affection solide, vigoureuse et fortunee. Elles sont rares, s'il y en a. En fin je cogneus que le plus seur, estoit de me fier a moy-mesme de moy, et de ma necessite. Et s'il m'advenoit d'estre froidement en la grace de la fortune, que je me recommandasse de plus fort a la mienne: m'attachasse, regardasse de plus pres a moy. En toutes choses les hommes se jettent aux appuis estrangers, pour espargner les propres: seuls certains et seuls puissans, qui scait s'en armer. Chacun court ailleurs, et a l'advenir, d'autant que nul n'est arrive a soy. Et me resolus, que c'estoient utiles inconveniens: d'autant premierement qu'il faut advertir a coups de foyt, les mauvais disciples, quand la raison n'y peut assez, comme par le feu et violence des coins, nous ramenons un bois tortu a sa droicteur. Je me presche, il y a si long temps, de me tenir a moy, et separer des choses estrangeres: toutesfois, je tourne encores tousjours les yeux a coste. L'inclination, un mot favorable d'un grand, un bon visage, me tente. Dieu scait s'il en est cherte en ce temps, et quel sens il porte. J'oys encore sans rider le front, les subornemens qu'on me faict, pour me tirer en place marchande: et m'en deffens si mollement, qu'il semble, que je souffrisse plus volontiers d'en estre vaincu. Or a un esprit si indocile, il faut des bastonnades: et faut rebattre et reserrer, a bons coups de mail, ce vaisseau qui se desprent, se descoust, qui s'eschappe et desrobe de soy.

Secondement, que cet accident me servoit d'exercitation, pour me preparer a pis: Si moy, qui et par le benefice de la fortune, et par la condition de mes moeurs, esperois estre des derniers, venois a estre des premiers attrappe de ceste tempeste. M'instruisant de bonne heure, a contraindre ma vie, et la renger pour un nouvel estat. La vraye liberte c'est pouvoir toute chose sur soy. Potentissimus est qui se habet in potestate .

57
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Montaigne Michel de - Les Essais – Livre III Les Essais – Livre III
Мир литературы