Выбери любимый жанр

Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 42


Изменить размер шрифта:

42

Aucuns se plaignent dequoy je me suis agree a continuer cet exercice, marie, et vieil. Ils ont tort. Il est mieux temps d'abandonner sa maison, quand on l'a mise en train de continuer sans nous: quand on y a laisse de l'ordre qui ne demente point sa forme passee. C'est bien plus d'imprudence, de s'esloingner, laissant en sa maison une garde moins fidele, et qui ait moins de soing de pourvoir a vostre besoing.

La plus utile et honnorable science et occupation a une mere de famille, c'est la science du mesnage. J'en vois quelqu'une avare; de mesnagere, fort peu. C'est sa maistresse qualite, et qu'on doibt chercher, avant toute autre: comme le seul douaire qui sert a ruyner ou sauver nos maisons. Qu'on ne m'en parle pas; selon que l'experience m'en a apprins, je requiers d'une femme mariee, au dessus de toute autre vertu, la vertu oeconomique. Je l'en mets au propre, luy laissant par mon absence tout le gouvernement en main. Je vois avec despit en plusieurs mesnages, monsieur revenir maussade et tout marmiteux du tracas des affaires, environ midy, que madame est encore apres a se coiffer et attiffer, en son cabinet. C'est a faire aux Roynes: encores ne scay-je. Il est ridicule et injuste, que l'oysivete de nos femmes, soit entretenue de nostre sueur et travail. Il n'adviendra, que je puisse, a personne, d'avoir l'usage de ses biens plus liquide que moy, plus quiete et plus quitte. Si le mary fournit de matiere, nature mesme veut qu'elles fournissent de forme.

Quant aux devoirs de l'amitie maritale, qu'on pense estre interessez par cette absence: je ne le crois pas. Au rebours, c'est une intelligence, qui se refroidit volontiers par une trop continuelle assistance, et que l'assiduite blesse. Toute femme estrangere nous semble honneste femme: Et chacun sent par experience, que la continuation de se voir, ne peut representer le plaisir que lon sent a se desprendre, et reprendre a secousses. Ces interruptions me remplissent d'une amour recente envers les miens, et me redonnent l'usage de ma maison plus doux: la vicissitude eschaufe mon appetit, vers l'un, puis vers l'autre party. Je scay que l'amitie a les bras assez longs, pour se tenir et se joindre, d'un coin de monde a l'autre: et specialement cette cy, ou il y a une continuelle communication d'offices, qui en reveillent l'obligation et la souvenance. Les Stoiciens disent bien, qu'il y a si grande colligance et relation entre les sages, que celuy qui disne en France, repaist son compagnon en ?gypte; et qui estend seulement son doigt, ou que ce soit, tous les sages qui sont sur la terre habitable, en sentent ayde. La jouyssance, et la possession, appartiennent principalement a l'imagination. Elle embrasse plus chaudement et plus continuellement ce qu'elle va querir, que ce que nous touchons. Comptez voz amusements journaliers; vous trouverez que vous estes lors plus absent de vostre amy, quand il vous est present. Son assistance relasche vostre attention, et donne liberte a vostre pensee, de s'absenter a toute heure, pour toute occasion.

De Rome en hors, je tiens et regente ma maison, et les commoditez que j'y ay laisse: je voy croistre mes murailles, mes arbres, et mes rentes, et descroistre a deux doigts pres, comme quand j'y suis,

Ante oculos errat domus, errat forma locorum .

Si nous ne jouyssons que ce que nous touchons, adieu noz escus quand ils sont en noz coffres, et noz enfans s'ils sont a la chasse. Nous les voulons plus pres. Au jardin est-ce loing? A une demy journee? Quoy, a dix lieues est-ce loing, ou pres? Si c'est pres: Quoy onze, douze, treze? et ainsi pas a pas. Vrayment celle qui scaura prescripre a son mary, le quantiesme pas finit le pres, et le quantiesme pas donne commencement au loing, je suis d'advis qu'elle l'arreste entre-deux.

excludat jurgia finis:

Utor permisso, caud?que pilos ut equin?

Paulatim vello: et demo unum, demo etiam unum

Dum cadat elusus ratione ruentis acervi .

Et qu'elles appellent hardiment la Philosophie a leur secours. A qui quelqu'un pourroit reprocher, puis qu'elle ne voit ny l'un ny l'autre bout de la jointure, entre le trop et le peu, le long et le court, le leger et le poisant, le pres et le loing: puis qu'elle n'en recognoist le commencement ny la fin, qu'elle juge bien incertainement du milieu. Rerum natura nullam nobis dedit cognitionem finium . Sont-elles pas encore femmes et amies des trespassez; qui ne sont pas au bout de cettuy-cy, mais en l'autre monde? Nous embrassons et ceux qui ont este, et ceux qui ne sont point encore, non que les absens. Nous n'avons pas faict marche, en nous mariant, de nous tenir continuellement accouez, l'un a l'autre, comme je ne scay quels petits animaux que nous voyons, ou comme les ensorcelez de Karenty, d'une maniere chiennine. Et ne doibt une femme avoir les yeux si gourmandement fichez sur le devant de son mary, qu'elle n'en puisse veoir le derriere, ou besoing est.

Mais ce mot de ce peintre si excellent, de leurs humeurs, seroit-il point de mise en ce lieu, pour representer la cause de leurs plaintes?

Uxor, si cesses, aut te amare cogitat,

Aut tete amari, aut potare, aut animo obsequi,

Et tibi bene esse soli, cum sibi sit male.

Ou bien seroit-ce pas, que de soy l'opposition et contradiction les entretient et nourrit: et qu'elles s'accommodent assez, pourveu qu'elles vous incommodent?

En la vraye amitie, de laquelle je suis expert, je me donne a mon amy, plus que je ne le tire a moy. Je n'ayme pas seulement mieux, luy faire bien, que s'il m'en faisoit: mais encore qu'il s'en face, qu'a moy: il m'en faict lors le plus, quand il s'en faict. Et si l'absence luy est ou plaisante ou utile, elle m'est bien plus douce que sa presence: et ce n'est pas proprement absence, quand il y a moyen de s'entr'advertir. J'ay tire autrefois usage de nostre esloingnement et commodite. Nous remplissions mieux, et estandions, la possession de la vie, en nous separant: il vivoit, il jouyssoit, il voyoit pour moy, et moy pour luy, autant plainement que s'il y eust este: l'une partie demeuroit oisive, quand nous estions ensemble: nous nous confondions. La separation du lieu rendoit la conjonction de noz volontez plus riche. Cette faim insatiable de la presence corporelle, accuse un peu la foiblesse en la jouissance des ames.

Quant a la vieillesse, qu'on m'allegue; au rebours: c'est a la jeunesse a s'asservir aux opinions communes, et se contraindre pour autruy. Elle peut fournir a tous les deux, au peuple et a soy: nous n'avons que trop a faire, a nous seuls. A mesure que les commoditez naturelles nous faillent, soustenons nous par les artificielles. C'est injustice, d'excuser la jeunesse de suyvre ses plaisirs, et deffendre a la vieillesse d'en chercher. Jeune, je couvrois mes passions enjouees, de prudence: vieil, je demesle les tristes, de debauche. Si prohibent les loix Platoniques, de peregriner avant quarante ans, ou cinquante: pour rendre la peregrination plus utile et instructive. Je consentiroy plus volontiers, a cet autre second article, des mesmes loix, qui l'interdit, apres soixante.

Mais en tel aage, vous ne reviendrez jamais d'un si long chemin. Que m'en chaut-il? je ne l'entreprens, ny pour en revenir, ny pour le parfaire. J'entreprens seulement de me branler, pendant que le branle me plaist, et me proumeine pour me proumener. Ceux qui courent un benefice, ou un lievre, ne courent pas. Ceux la courent, qui courent aux barres, et pour exercer leur course.

Mon dessein est divisible par tout, il n'est pas fonde en grandes esperances: chasque journee en faict le bout. Et le voyage de ma vie se conduict de mesme. J'ay veu pourtant assez de lieux esloingnez, ou j'eusse desire qu'on m'eust arreste. Pourquoy non, si Chrysippus, Cleanthes, Diogenes, Zenon, Antipater, tant d'hommes sages, de la secte plus renfroingnee, abandonnerent bien leur pays, sans aucune occasion de s'en plaindre: et seulement pour la jouissance d'un autre air? Certes le plus grand desplaisir de mes peregrinations, c'est que je n'y puisse apporter cette resolution, d'establir ma demeure ou je me plairoy. Et qu'il me faille tousjours proposer de revenir, pour m'accommoder aux humeurs communes.

Si je craingnois de mourir en autre lieu, que celuy de ma naissance: si je pensois mourir moins a mon aise, esloingne des miens: a peine sortiroy-je hors de France, je ne sortirois pas sans effroy hors de ma parroisse: Je sens la mort qui me pince continuellement la gorge, ou les reins: Mais je suis autrement faict: elle m'est une par tout. Si toutesfois j'avois a choisir: ce seroit, ce croy-je, plustost a cheval, que dans un lict: hors de ma maison, et loing des miens. Il y a plus de crevecoeur que de consolation, a prendre conge de ses amis. J'oublie volontiers ce devoir de nostre entregent: Car des offices de l'amitie, celuy-la est le seul desplaisant: et oublierois ainsi volontiers a dire ce grand et eternel adieu. S'il se tire quelque commodite de cette assistance, il s'en tire cent incommoditez. J'ay veu plusieurs mourans bien piteusement, assiegez de tout ce train: cette presse les estouffe. C'est contre le devoir, et est tesmoignage de peu d'affection, et de peu de soing, de vous laisser mourir en repos: L'un tourmente vos yeux, l'autre vos oreilles, l'autre la bouche: il n'y a sens, ny membre, qu'on ne vous fracasse. Le coeur vous serre de pitie, d'ouir les plaintes des amis; et de despit a l'advanture, d'ouir d'autres plaintes, feintes et masquees. Qui a tousjours eu le goust tendre, affoibly, il l'a encore plus. Il luy faut en une si grande necessite, une main douce, et accommodee a son sentiment, pour le grater justement ou il luy cuit. Ou qu'on ne le grate point du tout. Si nous avons besoing de sage femme, a nous mettre au monde: nous avons bien besoing d'un homme encore plus sage, a nous en sortir. Tel, et amy, le faudroit-il acheter bien cherement, pour le service d'une telle occasion.

Je ne suis point arrive a cette vigueur desdaigneuse, qui se fortifie en soy-mesme, que rien n'aide, ny ne trouble; je suis d'un poinct plus bas. Je cherche a coniller, et a me desrober de ce passage: non par crainte, mais par art. Ce n'est pas mon advis, de faire en cette action, preuve ou montre de ma constance. Pour qui? Lors cessera tout le droict et l'interest, que j'ay a la reputation. Je me contente d'une mort recueillie en soy, quiete, et solitaire, toute mienne, convenable a ma vie retiree et privee. Au rebours de la superstition Romaine, ou on estimoit malheureux, celuy qui mouroit sans parler: et qui n'avoit ses plus proches a luy clorre les yeux. J'ay assez affaire a me consoler, sans avoir a consoler autruy; assez de pensees en la teste, sans que les circonstances m'en apportent de nouvelles: et assez de matiere a m'entretenir, sans l'emprunter. Cette partie n'est pas du rolle de la societe: c'est l'acte a un seul personnage. Vivons et rions entre les nostres, allons mourir et rechigner entre les inconnuz. On trouve en payant, qui vous tourne la teste, et qui vous frotte les pieds: qui ne vous presse qu'autant que vous voulez, vous presentant un visage indifferent, vous laissant vous gouverner, et plaindre a vostre mode.

42
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Montaigne Michel de - Les Essais – Livre III Les Essais – Livre III
Мир литературы