Выбери любимый жанр

Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 29


Изменить размер шрифта:

29

L'autre Roy de Mexico, ayant long temps defendu sa ville assiegee, et montre en ce siege tout ce que peut et la souffrance, et la perseverance, si onques prince et peuple le montra: et son malheur l'ayant rendu vif, entre les mains des ennemis, avec capitulation d'estre traite en Roy: aussi ne leur fit-il rien voir en la prison, indigne de ce tiltre: ne trouvant point apres cette victoire, tout l'or qu'ils s'estoient promis: quand ils eurent tout remue, et tout fouille, ils se mirent a en chercher des nouvelles, par les plus aspres gehennes, dequoy ils se peurent adviser, sur les prisonniers qu'ils tenoient. Mais pour n'avoir rien profite, trouvant des courages plus forts que leurs tourments, ils en vindrent en fin a telle rage, que contre leur foy et contre tout droict des gens, ils condamnerent le Roy mesme, et l'un des principaux seigneurs de sa cour a la gehenne, en presence l'un de l'autre. Ce seigneur se trouvant force de la douleur, environne de braziers ardens, tourna sur la fin, piteusement sa veue vers son maistre, comme pour luy demander mercy, de ce qu'il n'en pouvoit plus: Le Roy, plantant fierement et rigoureusement les yeux sur luy, pour reproche de sa laschete et pusillanimite, luy dit seulement ces mots, d'une voix rude et ferme: Et moy, suis je dans un bain, suis-je pas plus a mon aise que toy? Celuy-la soudain apres succomba aux douleurs, et mourut sur la place. Le Roy a demy rosty, fut emporte de la: Non tant par pitie (car quelle pitie toucha jamais des ames si barbares, qui pour la doubteuse information de quelque vase d'or a piller, fissent griller devant leurs yeux un homme: non qu'un Roy, si grand, et en fortune, et en merite) mais ce fut que sa constance rendoit de plus en plus honteuse leur cruaute. Ils le pendirent depuis, ayant courageusement entrepris de se delivrer par armes d'une si longue captivite et subjection: ou il fit sa fin digne d'un magnanime Prince.

A une autrefois ils mirent brusler pour un coup, en mesme feu, quatre cens soixante hommes tous vifs, les quatre cens du commun peuple, les soixante des principaux seigneurs d'une province, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons d'eux-mesmes ces narrations: car ilz y ne les advouent pas seulement, ils s'en ventent, et les preschent. Seroit-ce pour tesmoignage de leur justice, ou zele envers la religion! Certes ce sont voyes trop diverses, et ennemies d'une si saincte fin. S'ils se fussent proposes d'estendre nostre foy, ils eussent considere que ce n'est pas en possession de terres qu'elle s'amplifie, mais en possession d'hommes: et se fussent trop contentez des meurtres que la necessite de la guerre apporte, sans y mesler indifferemment une boucherie, comme sur des bestes sauvages: universelle, autant que le fer et le feu y ont peu attaindre: n'en ayant conserve par leur dessein, qu'autant qu'ils en ont voulu faire de miserables esclaves, pour l'ouvrage et service de leurs minieres: Si que plusieurs des chefs ont este punis a mort, sur les lieux de leur conqueste, par ordonnance des Roys de Castille, justement offencez de l'horreur de leurs deportemens, et quasi tous desestimez et mal-voulus. Dieu a meritoirement permis, que ces grands pillages se soient absorbez par la mer en les transportant: ou par les guerres intestines, dequoy ils se sont mangez entre-eux: et la plus part s'enterrerent sur les lieux, sans aucun fruict de leur victoire.

Quant a ce que la recepte, et entre les mains d'un prince mesnager, et prudent, respond si peu a l'esperance, qu'on en donna a ses predecesseurs, et a cette premiere abondance de richesses, qu'on rencontra a l'abord de ces nouvelles terres (car encore qu'on en retire beaucoup, nous voyons que ce n'est rien, au prix de ce qui s'en devoit attendre) c'est que l'usage de la monnoye estoit entierement incognu, et que par consequent, leur or se trouva tout assemble, n'estant en autre service, que de montre, et de parade, comme un meuble reserve de pere en fils, par plusieurs puissants Roys, qui espuisoient tousjours leurs mines, pour faire ce grand monceau de vases et statues, a l'ornement de leurs palais, et de leurs temples: au lieu que nostre or est tout en emploite et en commerce. Nous le menuisons et alterons en mille formes, l'espandons et dispersons. Imaginons que nos Roys amoncelassent ainsi tout l'or, qu'ils pourroient trouver en plusieurs siecles, et le gardassent immobile.

Ceux du Royaume de Mexico estoient aucunement plus civilisez, et plus artistes, que n'estoient les autres nations de la. Aussi jugeoient-ils, ainsi que nous, que l'univers fust proche de sa fin: et en prindrent pour signe la desolation que nous y apportasmes. Ils croyoyent que l'estre du monde, se depart en cinq aages, et en la vie de cinq soleils consecutifs, desquels les quatre avoient desja fourny leurs temps, et que celuy qui leur esclairoit, estoit le cinquiesme. Le premier perit avec toutes les autres creatures, par universelle inondation d'eaux. Le second, par la cheute du ciel sur nous, qui estouffa toute chose vivante: auquel aage ils assignent les geants, et en firent voir aux Espagnols des ossements, a la proportion desquels, la stature des hommes revenoit a vingt paumes de hauteur. Le troisiesme, par feu, qui embrasa et consuma tout. Le quatriesme, par une emotion d'air, et de vent, qui abbatit jusques a plusieurs montaignes: les hommes n'en moururent point, mais ils furent changez en magots (quelles impressions ne souffre la laschete de l'humaine creance!) Apres la mort de ce quatriesme Soleil, le monde fut vingt-cinq ans en perpetuelles tenebres: Au quinziesme desquels fut cree un homme, et une femme, qui refirent l'humaine race: Dix ans apres, a certain de leurs jours, le Soleil parut nouvellement cree: et commence depuis, le compte de leurs annees par ce jour la. Le troisiesme jour de sa creation, moururent les Dieux anciens: les nouveaux sont nays depuis du jour a la journee. Ce qu'ils estiment de la maniere que ce dernier Soleil perira, mon autheur n'en a rien appris. Mais leur nombre de ce quatriesme changement, rencontre a cette grande conjonction des astres, qui produisit il y a huict cens tant d'ans, selon que les Astrologiens estiment, plusieurs grandes alterations et nouvelletez au monde.

Quant a la pompe et magnificence, par ou je suis entre en ce propos, ny Gr?ce, ny Rome, ny ?gypte, ne peut, soit en utilite, ou difficulte, ou noblesse, comparer aucun de ses ouvrages, au chemin qui se voit au Peru, dresse par les Roys du pais, depuis la ville de Quito, jusques a celle de Cusco (il y a trois cens lieues) droit, uny, large de vingt-cinq pas, pave revestu de coste et d'autre de belles et hautes murailles, et le long d'icelles par le dedans, deux ruisseaux perennes, bordez de beaux arbres, qu'ils nomment, Moly. Ou ils ont trouve des montaignes et rochers, ils les ont taillez et applanis, et comble les fondrieres de pierre et chaux. Au chef de chasque journee, il y a de beaux palais fournis de vivres, de vestements, et d'armes, tant pour les voyageurs, que pour les armees qui ont a y passer. En l'estimation de cet ouvrage, j'ay compte la difficulte, qui est particulierement considerable en ce lieu la. Ils ne bastissoient point de moindres pierres, que de dix pieds en carre: il n'avoient autre moyen de charrier, qu'a force de bras en trainant leur charge: et pas seulement l'art d'eschaffauder: n'y scachants autre finesse, que de hausser autant de terre, contre leur bastiment, comme il s'esleve, pour l'oster apres.

Retombons a nos coches. En leur place, et de toute autre voiture, ils se faisoient porter par les hommes, et sur les espaules. Ce dernier Roy du Peru, le jour qu'il fut pris, estoit ainsi porte sur des brancars d'or, et assis dans une chaize d'or, au milieu de sa bataille. Autant qu'on tuoit de ces porteurs, pour le faire choir a bas (car on le vouloit prendre vif) autant d'autres, et a l'envy, prenoient la place des morts: de facon qu'on ne le peut onques abbatre, quelque meurtre qu'on fist de ces gens la, jusques a ce qu'un homme de cheval l'alla saisir au corps, et l'avalla par terre.

29
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Montaigne Michel de - Les Essais – Livre III Les Essais – Livre III
Мир литературы