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Les Essais – Livre I - Montaigne Michel de - Страница 42


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Quant au Grec, duquel je n'ay quasi du tout point d'intelligence, mon pere desseigna me le faire apprendre par art. Mais d'une voie nouvelle, par forme débat et d'exercice: nous pelotions nos declinaisons, à la maniere de ceux qui par certains jeux de tablier apprennent l'Arithmetique et la Geometrie. Car entre autres choses, il avoit esté conseillé de me faire gouster la science et le devoir, par une volonté non forcée, et de mon propre desir; et d'eslever mon ame en toute douceur et liberté, sans rigueur et contrainte. Je dis jusques à telle superstition, que par ce qu'aucuns tiennent, que cela trouble la cervelle tendre des enfans, de les esveiller le matin en sursaut, et de les arracher du sommeil (auquel ils sont plongez beaucoup plus que nous ne sommes) tout à coup, et par violence, il me faisoit esveiller par le son de quelque instrument, et ne fus jamais sans homme qui m'en servist.

Cet exemple suffira pour en juger le reste, et pour recommander aussi et la prudence et l'affection d'un si bon pere: Auquel il ne se faut prendre, s'il n'a receuilly aucuns fruits respondans à une si exquise culture. Deux choses en furent cause: en premier, le champ sterile et incommode. Car quoy que j'eusse la santé ferme et entiere, et quant et quant un naturel doux et traitable, j'estois parmy cela si poisant, mol et endormy, qu'on ne me pouvoit arracher de l'oisiveté, non pas pour me faire jouer. Ce que je voyois, je le voyois bien; et souz cette complexion lourde, nourrissois des imaginations hardies, et des opinions au dessus de mon aage. L'esprit, je l'avois lent, et qui n'alloit qu'autant qu'on le menoit: l'apprehension tardive, l'invention lasche, et apres tout un incroyable defaut de memoire. De tout cela il n'est pas merveille, s'il ne sceut rien tirer qui vaille. Secondement, comme ceux que presse un furieux desir de guerison, se laissent aller à toute sorte de conseil, le bon homme, ayant extreme peur de faillir en chose qu'il avoit tant à coeur, se laissa en fin emporter à l'opinion commune, qui suit tousjours ceux qui vont devant, comme les gruës; et se rengea à la coustume, n'ayant plus autour de luy ceux qui luy avoient donné ces premieres institutions, qu'il avoit apportées d'Italie: et m'envoya environ mes six ans au college de Guienne, tres-florissant pour lors, et le meilleur de France. Et là, il n'est possible de rien adjouster au soing qu'il eut, et à me choisir des precepteurs de chambre suffisans, et à toutes les autres circonstances de ma nourriture; en laquelle il reserva plusieurs façons particulieres, contre l'usage des colleges: mais tant y a que c'estoit tousjours college. Mon Latin s'abastardit incontinent, duquel depuis par desaccoustumance j'ay perdu tout usage. Et ne me servit cette mienne inaccoustumée institution, que de me faire enjamber d'arrivée aux premieres classes: Car à treize ans, que je sortis du college, j'avois achevé mon cours (qu'ils appellent) et à la verité sans aucun fruit, que je peusse à present mettre en compte.

Le premier goust que jeuz aux livres, il me vint du plaisir des fables de la Metamorphose d'Ovide. Car environ l'aage de 7 ou 8 ans, je me desrobois de tout autre plaisir, pour les lire: d'autant que cette langue estoit la mienne maternelle; et que c'estoit le plus aisé livre, que je cogneusse, et le plus accommodé à la foiblesse de mon aage, à cause de la matiere: Car des Lancelots du Lac , des Amadis , des Huons de Bordeaux , et tels fatras de livres, à quoy l'enfance s'amuse, je n'en cognoissois pas seulement le nom, ny ne fais encore le corps: tant exacte estoit ma discipline. Je m'en rendois plus nonchalant à l'estude de mes autres leçons prescrites. Là il me vint singulierement à propos, d'avoir affaire à un homme d'entendement de precepteur, qui sceust dextrement conniver à cette mienne desbauche, et autres pareilles. Car par là, j'enfilay tout d'un train Vergile en l'Æneide, et puis Terence, et puis Plaute, et des comedies Italiennes, leurré tousjours par la douceur du subject. S'il eust esté si fol de rompre ce train, j'estime que je n'eusse rapporté du college que la haine des livres, comme fait quasi toute nostre noblesse. Il s'y gouverna ingenieusement, faisant semblant de n'en voir rien: Il aiguisoit ma faim, ne me laissant qu'à la desrobée gourmander ces livres, et me tenant doucement en office pour les autres estudes de la regle. Car les principales parties que mon pere cherchoit à ceux à qui il donnoit charge de moy, c'estoit la debonnaireté et facilité de complexion: Aussi n'avoit la mienne autre vice, que langueur et paresse. Le danger n'estoit pas que je fisse mal, mais que je ne fisse rien. Nul ne prognostiquoit que je deusse devenir mauvais, mais inutile: on y prevoyoit de la faineantise, non pas de la malice.

Je sens qu'il en est advenu comme cela. Les plaintes qui me cornent aux oreilles, sont telles: Il est oisif, froid aux offices d'amitié, et de parenté: et aux offices publiques, trop particulier, trop desdaigneux. Les plus injurieux mesmes ne disent pas, Pourquoy a il prins, pourquoy n'a-il payé? mais, Pourquoy ne quitte-il, pourquoy ne donne-il?

Je recevroy à faveur, qu'on ne desirast en moy que tels effects de supererogation. Mais ils sont injustes, d'exiger ce que je ne doy pas, plus rigoureusement beaucoup, qu'ils n'exigent d'eux ce qu'ils doivent. En m'y condemnant, ils effacent la gratification de l'action, et la gratitude qui m'en seroit deuë. Là où le bien faire actif, devroit plus peser de ma main, en consideration de ce que je n'en ay de passif nul qui soit. Je puis d'autant plus librement disposer de ma fortune, qu'elle est plus mienne: et de moy, que je suis plus mien. Toutesfois si j'estoy grand enlumineur de mes actions, à l'adventure rembarrerois-je bien ces reproches; et à quelques uns apprendrois, qu'ils ne sont pas si offensez que je ne face pas assez: que dequoy je puisse faire assez plus que je ne fay.

Mon ame ne laissoit pourtant en mesme temps d'avoir à part soy des remuemens fermes: et des jugemens seurs et ouverts autour des objects qu'elle cognoissoit: et les digeroit seule, sans aucune communication. Et entre autres choses je croy à la verité qu'elle eust esté du tout incapable de se rendre à la force et violence.

Mettray-je en compte cette faculté de mon enfance, Une asseurance de visage, et soupplesse de voix et de geste, à m'appliquer aux rolles que j'entreprenois? Car avant l'aage,

Alter ab undecimo tum me vix ceperat annus:

j'ay soustenu les premiers personnages, és tragedies latines de Bucanan, de Guerente, et de Muret, qui se representerent en nostre college de Guienne avec dignité. En cela, Andreas Goveanus nostre principal, comme en toutes autres parties de sa charge, fut sans comparaison le plus grand principal de France, et m'en tenoit-on maistre ou ouvrier. C'est un exercice, que je ne meslouë point aux jeunes enfans de maison; et ay veu nos Princes s'y addonner depuis, en personne, à l'exemple d'aucuns des anciens, honnestement et louablement.

Il estoit loisible, mesme d'en faire mestier, aux gents d'honneur et en Grece, Aristoni tragico actori rem aperit: huic et genus et fortuna honesta erant: nec ars quia nihil tale apud Græcos pudori est, ea deformabat .

Car j'ay tousjours accusé d'impertinence, ceux qui condemnent ces esbatemens: et d'injustice, ceux qui refusent l'entrée de nos bonnes villes aux comediens qui le valent, et envient au peuple ces plaisirs publiques. Les bonnes polices prennent soing d'assembler les citoyens, et les r'allier, comme aux offices serieux de la devotion, aussi aux exercices et jeux: La societé et amitié s'en augmente, et puis on ne leur sçauroit conceder des passetemps plus reglez, que ceux qui se font en presence d'un chacun, et à la veuë mesme du magistrat: et trouverois raisonnable que le prince à ses despens en gratifiast quelquefois la commune, d'une affection et bonté comme paternelle: et qu'aux villes populeuses il y eust des lieux destinez et disposez pour ces spectacles: quelque divertissement de pires actions et occultes.

Pour revenir à mon propos, il n'y a tel, que d'allecher l'appetit et l'affection, autrement on ne fait que des asnes chargez de livres: on leur donne à coups de foüet en garde leur pochette pleine de science. Laquelle pour bien faire, il ne faut pas seulement loger chez soy, il la faut espouser.

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