Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 53
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Cependant Jacques n'avait pas oublie Francine: suivant les paroles de Rodolphe, il l'embrassait tous les jours sur les levres de Marie, et travaillait en secret a la figure qu'il voulait placer sur la tombe de la morte.
Un jour qu'il avait recu de l'argent, Jacques acheta une robe a Marie, une robe noire. La jeune fille fut bien contente; seulement elle trouva que le noir n'etait pas gai pour l'ete. Mais Jacques lui dit qu'il aimait beaucoup le noir, et qu'elle lui ferait plaisir en mettant cette robe tous les jours. Marie lui obeit.
Un samedi, Jacques dit a la jeune fille:
– Viens demain de bonne heure, nous irons a la campagne.
– Quel bonheur! fit Marie. Je te menage une surprise, tu verras; demain il fera du soleil.
Marie passa la nuit chez elle a achever une robe neuve qu'elle avait achetee sur ses economies, une jolie robe rose. Et le dimanche elle arriva, vetue de sa pimpante emplette, a l'atelier de Jacques.
L'artiste la recut froidement, brutalement presque.
– Moi qui croyais te faire plaisir en me faisant cadeau de cette toilette rejouie! dit Marie, qui ne s'expliquait pas la froideur de Jacques.
– Nous n'irons pas a la campagne, repondit celui-ci, tu peux t'en aller, j'ai a travailler.
Marie s'en retourna chez elle le c?ur gros. En route, elle rencontra un jeune homme qui savait l'histoire de Jacques, et qui lui avait fait la cour, a elle.
– Tiens, Mademoiselle Marie, vous n'etes donc plus en deuil? Lui dit-il.
– En deuil, dit Marie, et de qui?
– Quoi! Vous ne savez pas? C'est pourtant bien connu; cette robe noire que Jacques vous a donnee…
– Eh bien? dit Marie.
– Eh bien, c'etait le deuil: Jacques vous faisait porter le deuil de Francine.
– A compter de ce jour, Jacques ne revit plus Marie.
Cette rupture lui porta malheur. Les mauvais jours revinrent: il n'eut plus de travaux et tomba dans une si affreuse misere, que, ne sachant plus ce qu'il allait devenir, il pria son ami le medecin de le faire entrer dans un hopital. Le medecin vit du premier coup d'?il que cette admission n'etait pas difficile a obtenir. Jacques, qui ne se doutait pas de son etat, etait en route pour aller rejoindre Francine.
On le fit entrer a l'hopital Saint-Louis.
Comme il pouvait encore agir et marcher, Jacques pria le directeur de l'hopital de lui donner une petite chambre dont on ne se servait point, pour qu'il put y aller travailler. On lui donna la chambre, et il y fit apporter une selle, des ebauchoirs et de la terre glaise. Pendant les quinze premiers jours il travailla a la figure qu'il destinait au tombeau de Francine. C'etait un grand ange aux ailes ouvertes. Cette figure, qui etait le portrait de Francine, ne fut pas entierement achevee, car Jacques ne pouvait plus monter l'escalier, et bientot il ne put plus quitter son lit.
Un jour, le cahier de l'externe lui tomba entre les mains, et Jacques, en voyant les remedes qu'on lui ordonnait, comprit qu'il etait perdu; il ecrivit a sa famille, et fit appeler la s?ur Sainte-Genevieve, qui l'entourait de tous ses soins charitables.
– Ma s?ur, lui dit Jacques, il y a la-haut, dans la chambre que vous m'avez fait preter, une petite figure en platre; cette statuette, qui represente un ange, etait destinee a un tombeau, mais je n'ai pas le temps de l'executer en marbre. Pourtant, j'en ai un beau morceau chez moi, du marbre blanc veine de rose. Enfin… ma s?ur, je vous donne ma petite statuette pour mettre dans la chapelle de la communaute.
Jacques mourut peu de jours apres. Comme le convoi eut lieu le jour meme de l'ouverture du salon , les Buveurs d'eau n'y assisterent pas. L'art avant tout, avait dit Lazare.
La famille de Jacques n'etait pas riche, et l'artiste n'eut pas de terrain particulier.
Il fut enterre en quelque part.
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