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Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 18


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– Mais attends donc… Il y a quelques petites choses dedans.

L'habit de Colline merite une mention. D'abord cet habit etait completement bleu, et c'etait par habitude que Colline disait mon habit noir. Et comme il etait alors le seul de la bande possedant un habit, ses amis avaient egalement la coutume de dire en parlant du vetement officiel du philosophe: l'habit noir de Colline. En outre, ce vetement celebre avait une forme particuliere, la plus bizarre qu'on put voir: les basques tres-longues, attachees a une taille tres-courte, possedaient deux poches, veritables gouffres, dans lesquelles Colline avait l'habitude de loger une trentaine de volumes qu'il portait eternellement sur lui, ce qui faisait dire a ses amis que, pendant les vacances des bibliotheques, les savants et les hommes de lettres pouvaient aller chercher des renseignements dans les basques de l'habit de Colline, bibliotheque toujours ouverte aux lecteurs.

Ce jour-la, par extraordinaire, l'habit de Colline ne contenait qu'un volume in-quarto de Bayle, un traite des facultes hyperphysiques en trois volumes, un tome de Condillac, deux volumes de Swedenborg et l'Essai sur l'homme de Pope. Quand il en eut debarrasse son habit-bibliotheque, il permit a Rodolphe de s'en vetir.

– Tiens, dit celui-ci, la poche gauche est encore bien lourde; tu as laisse quelque chose.

– Ah! dit Colline, c'est vrai; j'ai oublie de vider la poche aux langues etrangeres. Et il en retira deux grammaires arabes, un dictionnaire Malai et un Parfait bouvier en chinois, sa lecture favorite.

Quand Rodolphe rentra chez lui, il trouva Marcel qui jouait au palet avec des pieces de cinq francs, au nombre de trois. Au premier moment, Rodolphe repoussa la main que lui tendait son ami, il croyait a un crime.

– Depechons-nous, depechons-nous, dit Marcel… nous avons les quinze francs demandes… voici comment: j'ai rencontre un antiquaire chez Medicis. Quand il a vu ma piece, il a failli se trouver mal: c'etait la seule qui manquat a son medailler. Il a envoye dans tous les pays pour combler cette lacune, et il avait perdu tout espoir. Aussi, quand il a eu bien examine mon ecu de Charlemagne, il n'a pas hesite un seul moment a m'offrir cinq francs. Medicis m'a pousse du coude, son regard a complete le reste. Il voulait dire: partageons le benefice de la vente et je surencheris; nous avons monte jusqu'a trente francs. J'en ai donne quinze au juif, et voila le reste. Maintenant nos invites peuvent venir, nous sommes en mesure de leur donner des eblouissements. Tiens tu as un habit noir, toi?

– Oui, dit Rodolphe, l'habit de Colline. Et comme il fouillait dans la poche pour prendre son mouchoir, Rodolphe fit tomber un petit volume de mandchou , oublie dans la poche aux litteratures etrangeres.

Sur-le-champ les deux amis procederent aux preparatifs. On rangea l'atelier; on fit du feu dans le poele; un chassis de toile, garni de bougies, fut suspendu au plafond en guise de lustre, un bureau fut place au milieu de l'atelier pour servir de tribune aux orateurs; l'on placa devant l'unique fauteuil, qui devait etre occupe par le critique influent, et l'on disposa sur une table tous les volumes: romans, poemes, feuilletons dont les auteurs devaient honorer la soiree de leur presence. Afin d'eviter toute collision entre les differents corps de gens de lettres, l'atelier avait ete, en outre, dispose en quatre compartiments, a l'entree de chacun desquels, sur quatre ecriteaux fabriques en toute hate, on lisait:

COTE DES POETES.-ROMANTIQUES.

COTE DES PROSATEURS.-CLASSIQUES.

Les dames devaient occuper un espace pratique au centre.

– Ah ca! Mais, ca manque de chaises, dit Rodolphe.

– Oh! fit Marcel, il y en a plusieurs sur le carre qui sont accrochees le long du mur. Si nous les cueillions!

– Certainement qu'il faut les cueillir, dit Rodolphe en allant s'emparer des sieges qui appartenaient a quelque voisin.

Six heures sonnerent; les deux amis allerent diner en toute hate et remonterent proceder a l'eclairage des salons. Ils en demeurerent eblouis eux-memes. A sept heures, Schaunard arriva accompagne de trois dames qui avaient oublie de prendre leurs diamants et leurs chapeaux. L'une d'elles avait un chale rouge, tache de noir. Schaunard la designa particulierement a Rodolphe.

– C'est une femme tres comme il faut, dit-il, une anglaise que la chute des Stuarts a forcee a l'exil; elle vit modestement en donnant des lecons d'anglais. Son pere a ete chancelier sous Cromwell, a ce qu'elle m'a dit; faut etre poli avec elle; ne la tutoie pas trop.

Des pas nombreux se firent entendre dans l'escalier, c'etaient les invites qui arrivaient; ils parurent etonnes de voir du feu dans le poele.

L'habit noir de Rodolphe allait au-devant des dames et leur baisait la main avec une grace toute regence; quand il y eut une vingtaine de personnes, Schaunard demanda s'il n'y aurait pas une tournee de quelque chose.

– Tout a l'heure, dit Marcel; nous attendons l'arrivee du critique influent pour allumer le punch.

A huit heures, tous les invites etaient au complet, et l'on commenca a executer le programme. Chaque divertissement etait alterne d'une tournee de quelque chose; on a jamais su quoi.

Vers les dix heures on vit apparaitre le gilet blanc du critique influent; il ne resta qu'une heure et fut tres-sobre dans sa consommation.

Sur le minuit, comme il n'y avait plus de bois et qu'il faisait tres-froid, les invites qui etaient assis tiraient au sort a qui jetterait sa chaise au feu.

A une heure tout le monde etait debout.

Une aimable gaiete ne cessa point de regner parmi les invites. On n'eut aucun accident a regretter, sinon un accroc fait a la poche aux langues etrangeres de l'habit de Colline, et un soufflet que Schaunard appliqua a la fille du chancelier de Cromwell.

Cette memorable soiree fut pendant huit jours l'objet de la chronique du quartier; et Phemie, Teinturiere, qui avait ete reine de la fete, avait l'habitude de dire en en parlant a ses amies:

– C'etait fierement beau; il y avait de la bougie, ma chere.

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