Aline Et Valcour Ou Le Roman Philosophique – Tome I - de Sade Marquis Alphonse Francois - Страница 11
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LETTRE ONZIÈME.
Paris, 20 Juillet.
Je vous écris à la hâte, dans l'affreuse inquiétude où je suis; prolonger mon billet serait en retarder l'envoi, et je brûle d'impatience de le savoir en vos mains. La peinture de la vie que vous menez est délicieuse, votre bonheur s'y peint, cette idée me console; mais ces grandes courses m'effraient, elles seules sont l'objet de ma lettre; je pense comme madame de Senneval; elles sont folles, et je vous supplie d'y mettre des bornes, ou si vous y tenez, si elles vous amusent, ayez au moins plus d'un homme avec vous… faites-vous suivre; quelque fond que je fasse sur la vaillance de mon cher Déterville, vous m'avouerez qu'il lui deviendrait impossible de vous défendre seul, contre une troupe armée… Aline, nous avons des ennemis puissans, je me fie peu à ce qu'ils disent, leur fausseté m'effraie plus que leurs promesses ne me rassurent; point d'imprudence, je le demande à genoux à madame de Blamont, que je supplie d'accepter ici l'hommage sincère de mon respectueux attachement.
LETTRE DOUZIÈME.
Vert-feuille, 25 Juillet.
Oui, c'est moi qui reçois cette lettre pressée, et c'est moi qui ris de toute mon âme de la ridicule frayeur qu'elle nous peint. Rassurez-vous, nos courses n'ont aucun danger; quelque viol, quelqu'enlèvement, c'est en vérité tout ce que j'y vois de pis, et dans ces fatales extrêmités, n'avons-nous pas le brave Déterville, qui, quoique seul, romprait plutôt douze lances, soyez-en bien sûr, que de laisser enlever sa femme, ou les deux amies de son ami; à l'égard des gens qui promettent, j'ai plus de confiance que vous en leur parole; ils m'ont juré du repos cet été, et j'y crois. La confiance bien ou mal placée, calme le sang; ne troublez pas le plaisir qu'elle me donne.
Il vient de nous arriver ici un homme de votre connaissance qui s'intéresse toujours bien vivement à vous. C'est le comte de Beaulé; son grade dans la province, ses terres voisines de la mienne, son ancienne amitié pour moi; toutes ces raisons l'ont engagé à venir me donner quelques jours; je ne vois jamais ce brave et honnête militaire, sous lequel vous avez fait vos premières armes, sans une sorte d'émotion respectueuse; je ne trouve que lui en France qui nous peigne encore les franches vertus de l'antique chevalerie; son costume, son air, la manière dont il s'exprime, tout annonce en lui le religieux sectateur de ces loix si prodigieusement oubliées de nos jours… de ces loix précieuses, remplacées par de l'impertinence et des vices;… mais quelle est cette petite tête qui s'approche de la mienne?… Vites-vous jamais un procédé pareil?… Parce qu'on m'a vu prendre mon écritoire, ne voilà-t-il pas tout de suite un visage pardessus mon épaule… et puis de grands éclats de rire, parce que je surprends cette tête et que je gronde.-Mais, maman, c'est que c'est moi que cette correspondance regarde, vous l'avez dit.-Eh bien, mademoiselle, j'ai changé d'avis, vous me laisserez bien peut-être jouir une fois de vos plaisirs.-Oh maman… Et puis on ne rit plus, c'est un singulier être pourtant qu'une petite fille dont le coeur est pris.-Tenez, mademoiselle, changeons de rôle, votre père veut que j'écrive à monsieur d'Olbourg, chargez-vous-en.-A monsieur d'Olbourg, maman?-A lui-même.-Et qu'y a-t-il de commun entre cet homme et moi?-Comment! n'est-ce pas lui qui doit devenir mon gendre?-Oh! vous aimez trop votre Aline, pour la sacrifier ainsi.-Et bien, oui, mais votre père?-Vous le vaincrez.-Je n'en réponds pas.-Je mourrai donc?-Allons, venez que je vous embrasse encore une fois avant cette mort, à l'anglaise, et laissez-moi finir ma lettre.-On est venu couvrir de larmes le papier sur lequel j'écrivais. Vous le voyez; il faut que je change de page, et la friponne rit et pleure à-la-fois, en me baisant… enfin, elle s'asseoit et je puis écrire.
Nous avons ici le tableau de la félicité. Eugénie, que nous ne devrions plus nommer que madame Déterville, aime passionnément son mari, et elle en est adorée. C'est dans l'asyle du repos et de l'innocence, c'est à la campagne, mon cher Valcour, où le bonheur de s'aimer se goûte mieux selon moi, et où l'on se plaît mieux à en contempler le spectacle… Mais à Paris, dans ce gouffre de perversité, où les mauvaises moeurs forment le bon air, ou l'indécence est une grâce, la fausseté de la finesse et la calomnie de l'esprit. On ne connaît rien de ce que dicte la nature, toujours à côté, ou au-delà de ses mouvemens; on y trouve plus court de persifler que de sentir, parce qu'il ne faut pour l'un qu'un peu de jargon, et que pour l'autre il faudrait un coeur, dont les sensations énervées par la licence et corrompues par la débauche ne retrouvent plus leur énergie. On y chansonnerait un époux qui au bout d'un mois serait encore amoureux de sa femme… Oh que je hais ce ton! Oh que je vous haïrais, je crois, vous même, si vous n'étiez pas encore amoureux de la vôtre au bout de vingt ans. Adieu, tenez-nous parole, soyez sage, et tout ira bien.
LETTRE TREIZIÈME.
Vertfeuille ce 6 Août.
Le comte vient de nous quitter, nous allons reprendre notre ancienne vie, il était devenu nécessaire de l'interrompre. Monsieur Debaulé se promène peu, et malgré ses intances pour ne pas nous déranger, nous avons dû lui tenir compagnie; que ce début ne vous alarme point. Encore une fois les courses n'ont rien de dangereux, croyez que nous ne les ferions pas, s'il y avoit la moindre chose à craindre.
Ma mère entretint l'autre jour son ancien ami de nos projets communs, il les approuve, de cet air ouvert et franc, qui fait voir que le oui qu'on répond part du coeur, et n'est pas le mot de convenance; mais il craint bien qu'on ne réussisse pas à vaincre le président; il a souri en disant que d'Olbourg et lui étaient intimément liés , et souri d'une façon qui me fait craindre que ce ne soit le vice qui étaye cette indigne association. Quelques frêles que dussent être ces sociétés, peut-être sont-elles plus difficiles à rompre que celles que la vertu soutient, et j'en redoute étonnamment les effets; ils lient, prétend-on, leurs maîtresses entre elles, comme ils le sont eux-mêmes, et ce quadrille pervers est indissoluble, on me l'a dit à l'insçu de ma mère; garde-moi le secret; ce d'Olbourg… une maîtresse… Et quelle est donc la créature abandonnée… il est vrai que quand on n'est riche… Mon ami cet homme a une maîtresse! et si cela est, pourquoi veut-il m'épouser?… mais entendez-vous de telles mes moeurs? D'où-vient prendre une femme alors? c'est donc un meuble qu'on achète,… ah! j'entends, on a cela dans sa chambre, comme un magot sur sa cheminée… c'est une affaire de convention, et je serais la victime de cet usage! et je romprais des noeuds qui me sont si chers, pour être la femme de cet homme-là! Comment concevriez-vous votre malheureuse Aline dans cette fatale existence, s'il fallait que le ciel l'y soumit?
Déterville voudrait faire quelques recherches sur les moeurs dépravées de ce financier, il m'a dit votre délicatesse, je ne puis m'empêcher de l'approuver, et la mienne à-présent m'impose les mêmes lois; car, si cette liaison vicieuse est constatée entre mon père et d'Olbourg, Déterville ne dévoilerait les torts de l'un, qu'en mettant ceux de l'autre au jour… Le dois-je? ma mère est malheureuse, je serais bien fâchée, qu'une aussi triste découverte vint augmenter l'horreur de sa situation; ce n'est pas que son coeur y est compromis, après les procédés de monsieur de Blamont; il serait difficile, sans doute, que sa femme pu l'aimer bien affectueusement, et d'ailleurs leur âge est si diffèrent! mais qu'on aime ou non son mari, on n'en partage pas moins tous ses torts, et les vices qui se trouvent en lui, n'en affligent pas moins notre orgueil. Les chagrins que ce sentiment blessé, peut faire naître, sont peut-être aussi cuisans que ceux que nous donne l'amour… je ne le crois pas cependant, et comme il n'est pas de sensation plus vive que celle de l'amour, il ne peut en exister dont les tourmens puissent devenir aussi sensibles… Je ne sais… je ne suis plus si gaie, il me passe tout plein de nuages dans l'esprit; mon père nous a fait espérer du repos cet Été. Mais s'il ne changeait d'avis, s'il arrivait avec son cher d'Olbourg… Eugénie le craint, j'en frisonne… O mon cher Valcour! je l'ai dit à ma mère, mais si cet homme arrive, je fuis… qu'il ne compte pas sur ma présence, je ne résisterais pas à l'horreur de la sienne; distrayez-moi, Valcour, ôtez-moi ces tristes idées, elles troublent mon repos, et je ne puis les vaincre; mais est-ce vous qui me consolerez, vous qui devez frémir autant que moi…
LETTRE QUATORZIÈME.
Paris, 14 Août.
Vous rassurer!… qui, moi? Ah! vous avez raison, je tremble autant que vous, le caractère de l'homme dont il s'agit, est bien fait pour nous alarmer tous les deux; cette sécurité où sa promesse vous tient, enveloppe peut-être un piège dans lequel il veut vous surprendre. Il voudra voir si votre solitude est exacte, si je ne m'avise point de troubler… et qui sait s'il n'amènera pas son d'Olbourg? cependant il n'est pas vraisemblable qu'on exige tout de suite, de vous, un serment qui vous cause autant de répugnance; n'est-on pas convenu de vous laisser du tems?… si l'on vous contraignait, n'en doutez pas, cette mère qui vous adore, et que nous chérissons si bien tous les deux, prendrait alors votre parti avec une chaleur capable de vous obtenir de nouveaux délais… hélas! je vous rassure et je frémis moi-même; je veux calmer des troubles qui me dévorent, je veux consoler Aline et je suis plus affligé qu'elle.
Il est vrai que je me suis opposé aux recherches que me proposait Déterville, et d'après ce que vous m'apprenez, je m'y oppose encore plus fortement; nous pouvons souffrir des torts de ceux auxquels la nature nous à asservit, mais nous devons les respecter; si madame de Blamont ne se trouvait pas liée, comme nous, dans cette recherche, j'oserais dire que ce soin la regarde; mais si l'association soupçonnée est sûre, elle ne le peut plus. Non qu'elle ne le dût, si elle était incertaine; mais si la chose est prouvée, le silence est son lot. Que faire? que devenir? qu'imaginer grand Dieu! au moins votre coeur me reste, Aline, j'ose être sûr d'y régner. Que cette consolation m'est douce! je n'existerais pas sans elle. Conservez-le moi ce sentiment qui fait mon bonheur; soyez toujours l'unique arbitre de mon sort; opposons à cette multitude d'obstacles, la fermeté que donne la constance et nous triompherons un jour; mais si vous faiblissez, si les persécutions vous déterminent… si le malheur vous abat, Aline, envoyez-moi la mort; elle me sera bien moins cruelle.
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