Выбери любимый жанр

Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 28


Изменить размер шрифта:

28

Le pere Goriot etait sublime. Jamais Eugene ne l’avait pu voir illumine par les feux de sa passion paternelle. Une chose digne de remarque est la puissance d’infusion que possedent les sentiments. Quelque grossiere que soit une creature, des qu’elle exprime une affection forte et vraie, elle exhale un fluide particulier qui modifie la physionomie, anime le geste, colore la voix. Souvent l’etre le plus stupide arrive, sous l’effort de la passion, a la plus haute eloquence dans l’idee, si ce n’est dans le langage, et semble se mouvoir dans une sphere lumineuse. Il y avait en ce moment dans la voix, dans le geste de ce bonhomme, la puissance communicative qui signale le grand acteur. Mais nos beaux sentiments ne sont-ils pas les poesies de la volonte ?

— Eh ! bien, vous ne serez peut-etre pas fache d’apprendre, lui dit Eugene, qu’elle va rompre sans doute avec ce de Marsay. Ce beau-fils l’a quittee pour s’attacher a la princesse Galathionne. Quant a moi, ce soir, je suis tombe amoureux de madame Delphine.

— Bah ! dit le pere Goriot.

— Oui. Je ne lui ai pas deplu. Nous avons parle amour pendant une heure, et je dois aller la voir apres-demain samedi.

— Oh ! que je vous aimerais, mon cher monsieur, si vous lui plaisiez. Vous etes bon, vous ne la tourmenteriez point. Si vous la trahissiez, je vous couperais le cou, d’abord. Une femme n’a pas deux amours, voyez-vous ? Mon Dieu ! mais je dis des betises, monsieur Eugene. Il fait froid ici pour vous. Mon Dieu ! vous l’avez donc entendue, que vous a-t-elle dit pour moi ?

— Rien, se dit en lui-meme Eugene. Elle m’a dit, repondit-il a haute voix, qu’elle vous envoyait un bon baiser de fille.

— Adieu, mon voisin, dormez bien, faites de beaux reves ; les miens sont tout faits avec ce mot-la. Que Dieu vous protege dans tous vos desirs ! Vous avez ete pour moi ce soir comme un bon ange, vous me rapportez l’air de ma fille.

— Le pauvre homme, se dit Eugene en se couchant, il y a de quoi toucher des c?urs de marbre. Sa fille n’a pas plus pense a lui qu’au grand-Turc.

Depuis cette conversation, le pere Goriot vit dans son voisin un confident inespere, un ami. Il s’etait etabli entre eux les seuls rapports par lesquels ce vieillard pouvait s’attacher a un autre homme. Les passions ne font jamais de faux calculs. Le pere Goriot se voyait un peu plus pres de sa fille Delphine, il s’en voyait mieux recu, si Eugene devenait cher a la baronne. D’ailleurs il lui avait confie l’une de ses douleurs. Madame de Nucingen, a laquelle mille fois par jour il souhaitait le bonheur, n’avait pas connu les douceurs de l’amour. Certes, Eugene etait, pour se servir de son expression, un des jeunes gens les plus gentils qu’il eut jamais vus, et il semblait pressentir qu’il lui donnerait tous les plaisirs dont elle avait ete privee. Le bonhomme se prit donc pour son voisin d’une amitie qui alla croissant, et sans laquelle il eut ete sans doute impossible de connaitre le denoument de cette histoire.

Le lendemain matin, au dejeuner, l’affectation avec laquelle le pere Goriot regardait Eugene, pres duquel il se placa, les quelques paroles qu’il lui dit, et le changement de sa physionomie, ordinairement semblable a un masque de platre, surprirent les pensionnaires. Vautrin, qui revoyait l’etudiant pour la premiere fois depuis leur conference, semblait vouloir lire dans son ame. En se souvenant du projet de cet homme, Eugene, qui, avant de s’endormir, avait, pendant la nuit, mesure le vaste champ qui s’ouvrait a ses regards, pensa necessairement a la dot de mademoiselle Taillefer, et ne put s’empecher de regarder Victorine comme le plus vertueux jeune homme regarde une riche heritiere. Par hasard, leurs yeux se rencontrerent. La pauvre fille ne manqua pas de trouver Eugene charmant dans sa nouvelle tenue. Le coup d’?il qu’ils echangerent fut assez significatif pour que Rastignac ne doutat pas d’etre pour elle l’objet de ces confus desirs qui atteignent toutes les jeunes filles et qu’elles rattachent au premier etre seduisant. Une voix lui criait : Huit cent mille francs ! Mais tout a coup il se rejeta dans ses souvenirs de la veille, et pensa que sa passion de commande pour madame de Nucingen etait l’antidote de ses mauvaises pensees involontaires.

— L’on donnait hier aux Italiens le Barbier de Sevillede Rossini. Je n’avais jamais entendu de si delicieuse musique, dit-il. Mon Dieu ! est-on heureux d’avoir une loge aux Italiens.

Le pere Goriot saisit cette parole au vol comme un chien saisit un mouvement de son maitre.

— Vous etes comme des coqs-en-pate, dit madame Vauquer, vous autres hommes, vous faites tout ce qui vous plait.

— Comment etes-vous revenu, demanda Vautrin.

— A pied, repondit Eugene.

— Moi, reprit le tentateur, je n’aimerais pas de demi-plaisirs ; je voudrais aller la dans ma voiture, dans ma loge, et revenir bien commodement. Tout ou rien ! voila ma devise.

— Et qui est bonne, reprit madame Vauquer.

— Vous irez peut-etre voir madame de Nucingen, dit Eugene a voix basse a Goriot. Elle vous recevra, certes, a bras ouverts ; elle voudra savoir de vous mille petits details sur moi. J’ai appris qu’elle ferait tout au monde pour etre recue chez ma cousine, madame la vicomtesse de Beauseant. N’oubliez pas de lui dire que je l’aime trop pour ne pas penser a lui procurer cette satisfaction.

Rastignac s’en alla promptement a l’Ecole de droit, il voulait rester le moins de temps possible dans cette odieuse maison. Il flana pendant presque toute la journee, en proie a cette fievre de tete qu’ont connue les jeunes gens affectes de trop vives esperances. Les raisonnements de Vautrin le faisaient reflechir a la vie sociale, au moment ou il rencontra son ami Bianchon dans le jardin du Luxembourg.

— Ou as-tu pris cet air grave ? lui dit l’etudiant en medecine en lui prenant le bras pour se promener devant le palais.

— Je suis tourmente par de mauvaises idees.

— En quel genre ? Ca se guerit, les idees.

— Comment ?

— En y succombant.

— Tu ris sans savoir ce dont il s’agit. As-tu lu Rousseau ?

— Oui.

— Te souviens-tu de ce passage ou il demande a son lecteur ce qu’il ferait au cas ou il pourrait s’enrichir en tuant a la Chine par sa seule volonte un vieux mandarin, sans bouger de Paris.

— Oui.

— Eh ! bien ?

— Bah ! J’en suis a mon trente-troisieme mandarin.

— Ne plaisante pas. Allons, s’il t’etait prouve que la chose est possible et qu’il te suffit d’un signe de tete, le ferais-tu ?

— Est-il bien vieux, le mandarin ? Mais, bah ! jeune ou vieux, paralytique ou bien portant, ma foi… Diantre ! Eh ! bien, non.

— Tu es un brave garcon, Bianchon. Mais si tu aimais une femme a te mettre pour elle l’ame a l’envers, et qu’il lui fallut de l’argent, beaucoup d’argent pour sa toilette, pour sa voiture, pour toutes ses fantaisies enfin ?

— Mais tu m’otes la raison, et tu veux que je raisonne.

— Eh ! bien, Bianchon, je suis fou, gueris-moi. J’ai deux s?urs qui sont des anges de beaute, de candeur, et je veux qu’elles soient heureuses. Ou prendre deux cent mille francs pour leur dot d’ici a cinq ans ? Il est, vois-tu, des circonstances dans la vie ou il faut jouer gros jeu et ne pas user son bonheur a gagner des sous.

— Mais tu poses la question qui se trouve a l’entree de la vie pour tout le monde, et tu veux couper le n?ud gordien avec l’epee. Pour agir ainsi, mon cher, il faut etre Alexandre, sinon l’on va au bagne. Moi, je suis heureux de la petite existence que je me creerai en province, ou je succederai tout betement a mon pere. Les affections de l’homme se satisfont dans le plus petit cercle aussi pleinement que dans une immense circonference. Napoleon ne dinait pas deux fois, et ne pouvait pas avoir plus de maitresses qu’en prend un etudiant en medecine quand il est interne aux Capucins. Notre bonheur, mon cher, tiendra toujours entre la plante de nos pieds et notre occiput ; et, qu’il coute un million par an ou cent louis, la perception intrinseque en est la meme au dedans de nous. Je conclus a la vie du Chinois.

28
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


де Бальзак Оноре - Le pere Goriot Le pere Goriot
Мир литературы