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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 25


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Cette promenade fut fatale a l’etudiant. Quelques femmes le remarquerent. Il etait si beau, si jeune, et d’une elegance de si bon gout ! En se voyant l’objet d’une attention presque admirative, il ne pensa plus a ses s?urs ni a sa tante depouillees, ni a ses vertueuses repugnances. Il avait vu passer au-dessus de sa tete ce demon qu’il est si facile de prendre pour un ange, ce Satan aux ailes diaprees, qui seme des rubis, qui jette ses fleches d’or au front des palais, empourpre les femmes, revet d’un sot eclat les trones, si simples dans leur origine, il avait ecoute le dieu de cette vanite crepitante dont le clinquant nous semble etre un symbole de puissance. La parole de Vautrin, quelque cynique qu’elle fut, s’etait logee dans son c?ur comme dans le souvenir d’une vierge se grave le profil ignoble d’une vieille marchande a la toilette, qui lui a dit : « Or et amour a flots ! » Apres avoir indolemment flane, vers cinq heures Eugene se presenta chez madame de Beauseant, et il y recut un de ces coups terribles contre lesquels les c?urs jeunes sont sans armes. Il avait jusqu’alors trouve la vicomtesse pleine de cette amenite polie, de cette grace melliflue donnee par l’education aristocratique, et qui n’est complete que si elle vient du c?ur.

Quand il entra, madame de Beauseant fit un geste sec, et lui dit d’une voix breve : — Monsieur de Rastignac, il m’est impossible de vous voir, en ce moment du moins ! je suis en affaire…

Pour un observateur, et Rastignac l’etait devenu promptement, cette phrase, le geste, le regard, l’inflexion de voix, etaient l’histoire du caractere et des habitudes de la caste. Il apercut la main de fer sous le gant de velours ; la personnalite, l’egoisme, sous les manieres ; le bois, sous le vernis. Il entendit enfin le MOI LE ROI qui commence sous les panaches du trone et finit sous le cimier du dernier gentilhomme. Eugene s’etait trop facilement abandonne sur sa parole a croire aux noblesses de la femme. Comme tous les malheureux, il avait signe de bonne foi le pacte delicieux qui doit lier le bienfaiteur a l’oblige, et dont le premier article consacre entre les grands c?urs une complete egalite. La bienfaisance, qui reunit deux etres en un seul est une passion celeste aussi incomprise, aussi rare que l’est le veritable amour. L’un et l’autre est la prodigalite des belles ames. Rastignac voulait arriver au bal de la duchesse de Carigliano, il devora cette bourrasque.

— Madame, dit-il d’une voix emue, s’il ne s’agissait pas d’une chose importante, je ne serais pas venu vous importuner, soyez assez gracieuse pour me permettre de vous voir plus tard, j’attendrai.

— Eh bien ! venez diner avec moi, dit-elle un peu confuse de la durete qu’elle avait mise dans ses paroles ; car cette femme etait vraiment aussi bonne que grande.

Quoique touche de ce retour soudain, Eugene se dit en s’en allant : « Rampe, supporte tout. Que doivent etre les autres, si, dans un moment, la meilleure des femmes efface les promesses de son amitie, te laisse la comme un vieux soulier ? Chacun pour soi, donc ? Il est vrai que sa maison n’est pas une boutique, et que j’ai tort d’avoir besoin d’elle. Il faut, comme dit Vautrin, se faire boulet de canon. » Les ameres reflexions de l’etudiant furent bientot dissipees par le plaisir qu’il se promettait en dinant chez la vicomtesse. Ainsi, par une sorte de fatalite, les moindres evenements de sa vie conspiraient a le pousser dans la carriere ou, suivant les observations du terrible sphinx de la Maison Vauquer, il devait, comme sur un champ de bataille, tuer pour ne pas etre tue, tromper pour ne pas etre trompe, ou il devait deposer a la barriere sa conscience, son c?ur, mettre un masque, se jouer sans pitie des hommes, et, comme a Lacedemone, saisir sa fortune sans etre vu, pour meriter la couronne. Quand il revint chez la vicomtesse, il la trouva pleine de cette bonte gracieuse qu’elle lui avait toujours temoignee. Tous deux allerent dans une salle a manger ou le vicomte attendait sa femme, et ou resplendissait ce luxe de table qui sous la Restauration fut pousse, comme chacun le sait, au plus haut degre. Monsieur de Beauseant, semblable a beaucoup de gens blases, n’avait plus guere d’autres plaisirs que ceux de la bonne chere ; il etait en fait de gourmandise de l’ecole de Louis XVIII et du duc d’Escars. Sa table offrait donc un double luxe, celui du contenant et celui du contenu. Jamais semblable spectacle n’avait frappe les yeux d’Eugene, qui dinait pour la premiere fois dans une de ces maisons ou les grandeurs sociales sont hereditaires. La mode venait de supprimer les soupers qui terminaient autrefois les bals de l’empire, ou les militaires avaient besoin de prendre des forces pour se preparer a tous les combats qui les attendaient au dedans comme au dehors. Eugene n’avait encore assiste qu’a des bals. L’aplomb qui le distingua plus tard si eminemment, et qu’il commencait a prendre, l’empecha de s’ebahir niaisement. Mais en voyant cette argenterie sculptee, et les mille recherches d’une table somptueuse, en admirant pour la premiere fois un service fait sans bruit, il etait difficile a un homme d’ardente imagination de ne pas preferer cette vie constamment elegante a la vie de privations qu’il voulait embrasser le matin. Sa pensee le rejeta pendant un moment dans sa pension bourgeoise ; il en eut une si profonde horreur qu’il se jura de la quitter au mois de janvier, autant pour se mettre dans une maison propre que pour fuir Vautrin, dont il sentait la large main sur son epaule. Si l’on vient a songer aux mille formes que prend a Paris la corruption, parlante ou muette, un homme de bon sens se demande par quelle aberration l’Etat y met des ecoles, y assemble des jeunes gens, comment les jolies femmes y sont respectees, comment l’or etale par les changeurs ne s’envole pas magiquement de leurs sebiles. Mais si l’on vient a songer qu’il est peu d’exemples de crimes, voire meme de delits commis par les jeunes gens, de quel respect ne doit-on pas etre pris pour ces patients Tantales qui se combattent eux-memes, et sont presque toujours victorieux ! S’il etait bien peint dans sa lutte avec Paris, le pauvre etudiant fournirait un des sujets les plus dramatiques de notre civilisation moderne. Madame de Beauseant regardait vainement Eugene pour le convier a parler, il ne voulut rien dire en presence du vicomte.

— Me menez-vous ce soir aux Italiens ? demanda la vicomtesse a son mari.

— Vous ne pouvez douter du plaisir que j’aurais a vous obeir, repondit-il avec une galanterie moqueuse dont l’etudiant fut la dupe, mais je dois aller rejoindre quelqu’un aux Varietes.

— Sa maitresse, se dit-elle.

— Vous n’avez donc pas d’Ajuda ce soir ? demanda le vicomte.

— Non, repondit elle avec humeur.

— Eh bien ! s’il vous faut absolument un bras, prenez celui de monsieur de Rastignac.

La vicomtesse regarda Eugene en souriant.

— Ce sera bien compromettant pour vous, dit-elle.

—  Le Francais aime le peril, parce qu’il y trouve la gloire, a dit monsieur de Chateaubriand, repondit Rastignac en s’inclinant.

Quelques moments apres il fut emporte pres de madame de Beauseant, dans un coupe rapide, au theatre a la mode, et crut a quelque feerie lorsqu’il entra dans une loge de face, et qu’il se vit le but de toutes les lorgnettes concurremment avec la vicomtesse, dont la toilette etait delicieuse. Il marchait d’enchantements en enchantements.

— Vous avez a me parler, lui dit madame de Beauseant. Ha ! tenez, voici madame de Nucingen a trois loges de la notre. Sa s?ur et monsieur de Trailles sont de l’autre cote.

En disant ces mots, la vicomtesse regardait la loge ou devait etre mademoiselle de Rochefide, et, n’y voyant pas monsieur d’Ajuda, sa figure prit un eclat extraordinaire.

— Elle est charmante, dit Eugene apres avoir regarde madame de Nucingen.

— Elle a les cils blancs.

— Oui, mais quelle jolie taille mince !

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