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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 23


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— Que faut-il que je fasse ? dit avidement Rastignac en interrompant Vautrin.

— Presque rien, repondit cet homme en laissant echapper un mouvement de joie semblable a la sourde expression d’un pecheur qui sent un poisson au bout de sa ligne. Ecoutez-moi bien ! Le c?ur d’une pauvre fille malheureuse et miserable est l’eponge la plus avide a se remplir d’amour, une eponge seche qui se dilate aussitot qu’il y tombe une goutte de sentiment. Faire la cour a une jeune personne qui se rencontre dans des conditions de solitude, de desespoir et de pauvrete sans qu’elle se doute de sa fortune a venir ! dam ! c’est quinte et quatorze en main, c’est connaitre les numeros a la loterie, c’est jouer sur les rentes en sachant les nouvelles. Vous construisez sur pilotis un mariage indestructible. Viennent des millions a cette jeune fille, elle vous les jettera aux pieds, comme si c’etait des cailloux. — Prends, mon bien-aime ! Prends, Adolphe ! Alfred ! Prends, Eugene ! dira-t-elle si Adolphe, Alfred ou Eugene ont eu le bon esprit de se sacrifier pour elle. Ce que j’entends par des sacrifices, c’est vendre un vieil habit afin d’aller au Cadran-Bleu manger ensemble des croutes aux champignons ; de la, le soir, a l’Ambigu-Comique ; c’est mettre sa montre au Mont-de-Piete pour lui donner un chale. Je ne vous parle pas du gribouillage de l’amour ni des fariboles auxquelles tiennent tant les femmes, comme, par exemple, de repandre des gouttes d’eau sur le papier a lettre en maniere de larmes quand on est loin d’elles : vous m’avez l’air de connaitre parfaitement l’argot du c?ur. Paris, voyez-vous, est comme une foret du Nouveau-Monde, ou s’agitent vingt especes de peuplades sauvages, les Illinois, les Hurons, qui vivent du produit que donnent les differentes chasses sociales ; vous etes un chasseur de millions. Pour les prendre, vous usez de pieges, de pipeaux, d’appeaux. Il y a plusieurs manieres de chasser. Les uns chassent a la dot ; les autres chassent a la liquidation ; ceux-ci pechent des consciences, ceux-la vendent leurs abonnes pieds et poings lies. Celui qui revient avec sa gibeciere bien garnie est salue, fete, recu dans la bonne societe. Rendons justice a ce sol hospitalier, vous avez affaire a la ville la plus complaisante qui soit dans le monde. Si les fieres aristocraties de toutes les capitales de l’Europe refusent d’admettre dans leurs rangs un millionnaire infame, Paris lui tend les bras, court a ses fetes, mange ses diners et trinque avec son infamie.

— Mais ou trouver une fille ? dit Eugene.

— Elle est a vous, devant vous !

— Mademoiselle Victorine ?

— Juste !

— Eh ! comment ?

— Elle vous aime deja, votre petite baronne de Rastignac !

— Elle n’a pas un sou, reprit Eugene etonne.

— Ah ! nous y voila. Encore deux mots, dit Vautrin, et tout s’eclaircira. Le pere Taillefer est un vieux coquin qui passe pour avoir assassine l’un de ses amis pendant la revolution. C’est un de mes gaillards qui ont de l’independance dans les opinions. Il est banquier, principal associe de la maison Frederic Taillefer et compagnie. Il a un fils unique, auquel il veut laisser son bien, au detriment de Victorine. Moi, je n’aime pas ces injustices-la. Je suis comme don Quichotte, j’aime a prendre la defense du faible contre le fort. Si la volonte de Dieu etait de lui retirer son fils, Taillefer reprendrait sa fille ; il voudrait un heritier quelconque, une betise qui est dans la nature, et il ne peut plus avoir d’enfants, je le sais. Victorine est douce et gentille, elle aura bientot entortille son pere, et le fera tourner comme une toupie d’Allemagne avec le fouet du sentiment ! Elle sera trop sensible a votre amour pour vous oublier, vous l’epouserez. Moi, je me charge du role de la Providence, je ferai vouloir le bon Dieu. J’ai un ami pour qui je me suis devoue, un colonel de l’armee de la Loire qui vient d’etre employe dans la garde royale. Il ecoute mes avis, et s’est fait ultra-royaliste : ce n’est pas un de ces imbeciles qui tiennent a leurs opinions. Si j’ai encore un conseil a vous donner, mon ange, c’est de ne pas plus tenir a vos opinions qu’a vos paroles. Quand on vous les demandera, vendez-les. Un homme qui se vante de ne jamais changer d’opinion est un homme qui se charge d’aller toujours en ligne droite, un niais qui croit a l’infaillibilite. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des evenements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme superieur epouse les evenements et les circonstances pour les conduire. S’il y avait des principes et des lois fixes, les peuples n’en changeraient pas comme nous changeons de chemises. L’homme n’est pas tenu d’etre plus sage que toute une nation. L’homme qui a rendu le moins de services a la France est un fetiche venere pour avoir toujours vu en rouge, il est tout au plus bon a mettre au Conservatoire, parmi les machines, en l’etiquetant La Fayette ; tandis que le prince auquel chacun lance sa pierre, et qui meprise assez l’humanite pour lui cracher au visage autant de serments qu’elle en demande, a empeche le partage de la France au congres de Vienne : on lui doit des couronnes, on lui jette de la boue. Oh ! je connais les affaires, moi ! J’ai les secrets de bien des hommes ! Suffit. J’aurai une opinion inebranlable le jour ou j’aurai rencontre trois tetes d’accord sur l’emploi d’un principe, et j’attendrai long-temps ! L’on ne trouve pas dans les tribunaux trois juges qui aient le meme avis sur un article de loi. Je reviens a mon homme. Il remettrait Jesus-Christ en croix si je le lui disais. Sur un seul mot de son papa Vautrin, il cherchera querelle a ce drole qui n’envoie pas seulement cent sous a sa pauvre s?ur, et… Ici Vautrin se leva, se mit en garde, et fit le mouvement d’un maitre d’armes qui se fend. — Et, a l’ombre ! ajouta-t-il.

— Quelle horreur ! dit Eugene. Vous voulez plaisanter, monsieur Vautrin ?

— La, la, la, du calme, reprit cet homme. Ne faites pas l’enfant : cependant, si cela peut vous amuser, courroucez-vous, emportez-vous ! Dites que je suis un infame, un scelerat, un coquin, un bandit, mais ne m’appelez ni escroc, ni espion ! Allez, dites, lachez votre bordee ! Je vous pardonne, c’est si naturel a votre age ! J’ai ete comme ca, moi ! Seulement, reflechissez. Vous ferez pis quelque jour. Vous irez coqueter chez quelque jolie femme et vous recevrez de l’argent. Vous y avez pense ! dit Vautrin ; car comment reussirez-vous, si vous n’escomptez pas votre amour ? La vertu, mon cher etudiant, ne se scinde pas : elle est ou n’est pas. On nous parle de faire penitence de nos fautes. Encore un joli systeme que celui en vertu duquel on est quitte d’un crime avec un acte de contrition ! Seduire une femme pour arriver a vous poser sur tel baton de l’echelle sociale, jeter la zizanie entre les enfants d’une famille, enfin toutes les infamies qui se pratiquent sous le manteau d’une cheminee ou autrement dans un but de plaisir ou d’interet personnel, croyez-vous que ce soient des actes de foi, d’esperance et de charite ? Pourquoi deux mois de prison au dandy qui, dans une nuit, ote a un enfant la moitie de sa fortune, et pourquoi le bagne au pauvre diable qui vole un billet de mille francs avec les circonstances aggravantes ? Voila vos lois. Il n’y a pas un article qui n’arrive a l’absurde. L’homme en gants et a paroles jaunes a commis des assassinats ou l’on ne verse pas de sang, mais ou [ou] l’on en donne ; l’assassin a ouvert une porte avec un monseigneur : deux choses nocturnes ! Entre ce que je vous propose et ce que vous ferez un jour, il n’y a que le sang de moins. Vous croyez a quelque chose de fixe dans ce monde-la ! Meprisez donc les hommes, et voyez les mailles par ou l’on peut passer a travers le reseau du Code. Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublie, parce qu’il a ete proprement fait.

— Silence, monsieur, je ne veux pas en entendre davantage, vous me feriez douter de moi-meme. En ce moment le sentiment est toute ma science.

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де Бальзак Оноре - Le pere Goriot Le pere Goriot
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