Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 20
- Предыдущая
- 20/60
- Следующая
« Mon cher enfant, je t’envoie ce que tu m’as demande. Fais un bon emploi de cet argent, je ne pourrais, quand il s’agirait de te sauver la vie, trouver une seconde fois une somme si considerable sans que ton pere en fut instruit, ce qui troublerait l’harmonie de notre menage. Pour nous la procurer, nous serions obliges de donner des garanties sur notre terre. Il m’est impossible de juger le merite de projets que je ne connais pas ; mais de quelle nature sont-ils donc pour te faire craindre de me les confier ? Cette explication ne demandait pas des volumes, il ne nous faut qu’un mot a nous autres meres, et ce mot m’aurait evite les angoisses de l’incertitude. Je ne saurais te cacher l’impression douloureuse que ta lettre m’a causee. Mon cher fils, quel est donc le sentiment qui t’a contraint a jeter un tel effroi dans mon c?ur ? tu as du bien souffrir en m’ecrivant, car j’ai bien souffert en te lisant. Dans quelle carriere t’engages-tu donc ? Ta vie, ton bonheur seraient attaches a paraitre ce que tu n’es pas, a voir un monde ou tu ne saurais aller sans faire des depenses d’argent que tu ne peux soutenir, sans perdre un temps precieux pour tes etudes ? Mon bon Eugene, crois-en le c?ur de ta mere, les voies tortueuses ne menent a rien de grand. La patience et la resignation doivent etre les vertus des jeunes gens qui sont dans ta position. Je ne te gronde pas, je ne voudrais communiquer a notre offrande aucune amertume. Mes paroles sont celles d’une mere aussi confiante que prevoyante. Si tu sais quelles sont tes obligations, je sais, moi, combien ton c?ur est pur, combien tes intentions sont excellentes. Aussi puis-je te dire sans crainte : Va, mon bien-aime, marche ! Je tremble parce que je suis mere ; mais chacun de tes pas sera tendrement accompagne de nos yeux et de nos benedictions. Sois prudent, cher enfant. Tu dois etre sage comme un homme, les destinees de cinq personnes qui te sont cheres reposent sur ta tete. Oui, toutes nos fortunes sont en toi, comme ton bonheur est le notre. Nous prions tous Dieu de te seconder dans tes entreprises. Ta tante Marcillac a ete, dans cette circonstance, d’une bonte inouie : elle allait jusqu’a concevoir ce que tu me dis de tes gants. Mais elle a un faible pour l’aine, disait-elle gaiement. Mon Eugene, aime bien ta tante, je ne te dirai ce qu’elle a fait pour toi que quand tu auras reussi ; autrement, son argent te brulerait les doigts. Vous ne savez pas, enfants, ce que c’est que de sacrifier des souvenirs ! Mais que ne vous sacrifierait-on pas ? Elle me charge de te dire qu’elle te baise au front, et voudrait te communiquer par ce baiser la force d’etre souvent heureux. Cette bonne et excellente femme t’aurait ecrit si elle n’avait pas la goutte aux doigts. Ton pere va bien. La recolte de 1819 passe nos esperances. Adieu, cher enfant. Je ne dirai rien de tes s?urs : Laure t’ecrit. Je lui laisse le plaisir de babiller sur les petits evenements de la famille. Fasse le ciel que tu reussisses ! Oh ! oui, reussis, mon Eugene, tu m’as fait connaitre une douleur trop vive pour que je puisse la supporter une seconde fois. J’ai su ce que c’etait que d’etre pauvre, en desirant la fortune pour la donner a mon enfant. Allons, adieu. Ne nous laisse pas sans nouvelles, et prends ici le baiser que ta mere t’envoie. »
Quand Eugene eut acheve cette lettre, il etait en pleurs, il pensait au pere Goriot tordant son vermeil et le vendant pour aller payer la lettre de change de sa fille. « Ta mere a tordu ses bijoux ! se disait-il. Ta tante a pleure sans doute en vendant quelques-unes de ses reliques ! De quel droit maudirais-tu Anastasie ? tu viens d’imiter pour l’egoisme de ton avenir ce qu’elle a fait pour son amant ! Qui, d’elle ou de toi, vaut mieux ? » L’etudiant se sentit les entrailles rongees par une sensation de chaleur intolerable. Il voulait renoncer au monde, il voulait ne pas prendre cet argent. Il eprouva ces nobles et beaux remords secrets dont le merite est rarement apprecie par les hommes quand ils jugent leurs semblables, et qui font souvent absoudre par les anges du ciel le criminel condamne par les juristes de la terre. Rastignac ouvrit la lettre de sa s?ur, dont les expressions innocemment gracieuses lui rafraichirent le c?ur.
« Ta lettre est venue bien a propos, cher frere. Agathe et moi nous voulions employer notre argent de tant de manieres differentes, que nous ne savions plus a quel achat nous resoudre. Tu as fait comme le domestique du roi d’Espagne quand il a renverse les montres de son maitre, tu nous as mises d’accord. Vraiment, nous etions constamment en querelle pour celui de nos desirs auquel nous donnerions la preference, et nous n’avions pas devine, mon bon Eugene, l’emploi qui comprenait tous nos desirs. Agathe a saute de joie. Enfin, nous avons ete comme deux folles pendant toute la journee, a telles enseignes(style de tante) que ma mere nous disait de son air severe : Mais qu’avez-vous donc, mesdemoiselles ? Si nous avions ete grondees un brin, nous en aurions ete, je crois, encore plus contentes. Une femme doit trouver bien du plaisir a souffrir pour celui qu’elle aime ! Moi seule etais reveuse et chagrine au milieu de ma joie. Je ferai sans doute une mauvaise femme, je suis trop depensiere. Je m’etais achete deux ceintures, un joli poincon pour percer les ?illets de mes corsets, des niaiseries, en sorte que j’avais moins d’argent que cette grosse Agathe, qui est econome, et entasse ses ecus comme une pie. Elle avait deux cents francs ! Moi, mon pauvre ami, je n’ai que cinquante ecus. Je suis bien punie, je voudrais jeter ma ceinture dans le puits, il me sera toujours penible de la porter. Je t’ai vole. Agathe a ete charmante. Elle m’a dit : Envoyons les trois cent cinquante francs, a nous deux ! Mais je n’ai pas tenu a te raconter les choses comme elles se sont passees. Sais-tu comment nous avons fait pour obeir a tes commandements, nous avons pris notre glorieux argent, nous sommes allees nous promener toutes deux, et quand une fois nous avons eu gagne la grande route, nous avons couru a Ruffec, ou nous avons tout bonnement donne la somme a monsieur Grimbert, qui tient le bureau des Messageries royales ! Nous etions legeres comme des hirondelles en revenant. Est-ce que le bonheur nous allegirait ? me dit Agathe. Nous nous sommes dit mille choses que je ne vous repeterai pas, monsieur le Parisien, il etait trop question de vous. Oh ! cher frere, nous t’aimons bien, voila tout en deux mots. Quant au secret, selon ma tante, de petites masques comme nous sont capables de tout, meme de se taire. Ma mere est allee mysterieusement a Angouleme avec ma tante, et toutes deux ont garde le silence sur la haute politique de leur voyage, qui n’a pas eu lieu sans de longues conferences d’ou nous avons ete bannies, ainsi que monsieur le baron. De grandes conjectures occupent les esprits dans l’etat de Rastignac. La robe de mousseline semee de fleurs a jour que brodent les infantes pour sa majeste la reine avance dans le plus profond secret. Il n’y a plus que deux laizes a faire. Il a ete decide qu’on ne ferait pas de mur du cote de Verteuil, il y aura une haie. Le menu peuple y perdra des fruits, des espaliers, mais on y gagnera une belle vue pour les etrangers. Si l’heritier presomptif avait besoin de mouchoirs, il est prevenu que la douairiere de Marcillac, en fouillant dans ses tresors et ses malles, designees sous le nom de Pompeia et d’Herculanum, a decouvert une piece de belle toile de Hollande, qu’elle ne se connaissait pas ; les princesses Agathe et Laure mettent a ses ordres leur fil, leur aiguille, et des mains toujours un peu trop rouges. Les deux jeunes princes don Henri et don Gabriel ont conserve la funeste habitude de se gorger de raisine, de faire enrager leurs s?urs, de ne vouloir rien apprendre, de s’amuser a denicher des oiseaux, de tapager, et de couper, malgre les lois de l’Etat, des osiers pour se faire des badines. Le nonce du pape, vulgairement appele monsieur le cure, menace de les excommunier s’ils continuent a laisser les saints canons de la grammaire pour les canons du sureau belliqueux. Adieu, cher frere, jamais lettre n’a porte tant de v?ux faits pour ton bonheur, ni tant d’amour satisfait. Tu auras donc bien des choses a nous dire quand tu viendras ! Tu me diras tout, a moi, je suis l’ainee. Ma tante nous a laisse soupconner que tu avais des succes dans le monde.
- Предыдущая
- 20/60
- Следующая