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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 16


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— De service, dit madame de Beauseant.

— Clara, vous savez sans doute, reprit la duchesse en jetant des flots de malignite par ses regards que demain les bans de monsieur d’Ajuda-Pinto et de mademoiselle de Rochefide se publient ?

Ce coup etait trop violent, la vicomtesse palit et repondit en riant : — Un de ces bruits dont s’amusent les sots. Pourquoi monsieur d’Ajuda porterait-il chez les Rochefide un des plus beaux noms du Portugal ? Les Rochefide sont des gens anoblis d’hier.

— Mais Berthe reunira, dit-on, deux cent mille livres de rente.

— Monsieur d’Ajuda est trop riche pour faire de ces calculs.

— Mais, ma chere, mademoiselle de Rochefide est charmante.

— Ah !

— Enfin il y dine aujourd’hui, les conditions sont arretees. Vous m’etonnez etrangement d’etre si peu instruite.

— Quelle sottise avez-vous donc faite, monsieur ? dit madame de Beauseant. Ce pauvre enfant est si nouvellement jete dans le monde, qu’il ne comprend rien, ma chere Antoinette, a ce que nous disons. Soyez bonne pour lui, remettons a causer de cela demain. Demain, voyez-vous, tout sera sans doute officiel, et vous pourrez etre officieuse a coup sur.

La duchesse tourna sur Eugene un de ces regards impertinents qui enveloppent un homme des pieds a la tete, l’aplatissent, et le mettent a l’etat de zero.

— Madame, j’ai, sans le savoir, plonge un poignard dans le c?ur de madame de Restaud. Sans le savoir, voila ma faute, dit l’etudiant que son genie avait assez bien servi et qui avait decouvert les mordantes epigrammes cachees sous les phrases affectueuses de ces deux femmes. Vous continuez a voir, et vous craignez peut-etre les gens qui sont dans le secret du mal qu’ils vous font, tandis que celui qui blesse en ignorant la profondeur de sa blessure est regarde comme un sot, un maladroit qui ne sait profiter de rien, et chacun le meprise.

Madame de Beauseant jeta sur l’etudiant un de ces regards fondants ou les grandes ames savent mettre tout a la fois de la reconnaissance et de la dignite. Ce regard fut comme un baume qui calma la plaie que venait de faire au c?ur de l’etudiant le coup d’?il d’huissier-priseur par lequel la duchesse l’avait evalue.

— Figurez-vous que je venais, dit Eugene en continuant, de capter la bienveillance du comte de Restaud, car, dit-il en se tournant vers la duchesse d’un air a la fois humble et malicieux, il faut vous dire, madame, que je ne suis encore qu’un pauvre diable d’etudiant, bien seul, bien pauvre…

— Ne dites pas cela, monsieur de Rastignac. Nous autres femmes, nous ne voulons jamais de ce dont personne ne veut.

— Bah ! fit Eugene, je n’ai que vingt-deux ans, il faut savoir supporter les malheurs de son age. D’ailleurs, je suis a confesse ; et il est impossible de se mettre a genoux dans un plus joli confessionnal : on y fait les peches dont on s’accuse dans l’autre.

La duchesse prit un air froid a ce discours antireligieux, dont elle proscrivit le mauvais gout en disant a la vicomtesse : — Monsieur arrive…

Madame de Beauseant se prit a rire franchement et de son cousin et de la duchesse.

— Il arrive, ma chere, et cherche une institutrice qui lui enseigne le bon gout.

— Madame la duchesse, reprit Eugene, n’est-il pas naturel de vouloir s’initier aux secrets de ce qui nous charme ? (Allons, se dit-il en lui-meme, je suis sur que je leur fais des phrases de coiffeur.)

— Mais madame de Restaud est, je crois, l’ecoliere de monsieur de Trailles, dit la duchesse.

— Je n’en savais rien, madame, reprit l’etudiant. Aussi me suis-je etourdiment jete entre eux. Enfin, je m’etais assez bien entendu avec le mari, je me voyais souffert pour un temps par la femme, lorsque je me suis avise de leur dire que je connaissais un homme que je venais de voir sortant par un escalier derobe, et qui avait au fond d’un couloir embrasse la comtesse.

— Qui est-ce ? dirent les deux femmes.

— Un vieillard qui vit a raison de deux louis par mois, au fond du faubourg Saint-Marceau, comme moi, pauvre etudiant ; un veritable malheureux dont tout le monde se moque, et que nous appelons le Pere Goriot.

— Mais, enfant que vous etes, s’ecria la vicomtesse, madame de Restaud est une demoiselle Goriot.

— La fille d’un vermicellier, reprit la duchesse, une petite femme qui s’est fait presenter le meme jour qu’une fille de patissier. Ne vous en souvenez-vous pas, Clara ? Le roi s’est mis a rire, et a dit en latin un bon mot sur la farine. Des gens, comment donc ? des gens…

—  Ejusdem farinae, dit Eugene.

— C’est cela, dit la duchesse.

— Ah ! c’est son pere, reprit l’etudiant en faisant un geste d’horreur.

— Mais oui ; ce bonhomme avait deux filles dont il est quasi fou, quoique l’une et l’autre l’aient a peu pres renie.

— La seconde n’est-elle pas, dit la vicomtesse en regardant madame de Langeais, mariee a un banquier dont le nom est allemand, un baron de Nucingen ? Ne se nomme-t-elle pas Delphine ? N’est-ce pas une blonde qui a une loge de cote a l’Opera, qui vient aussi aux Bouffons, et rit tres-haut pour se faire remarquer ?

La duchesse sourit en disant : — Mais, ma chere, je vous admire. Pourquoi vous occupez-vous donc tant de ces gens-la ? Il a fallu etre amoureux fou, comme l’etait Restaud, pour s’etre enfarine de mademoiselle Anastasie. Oh ! il n’en sera pas le bon marchand ! Elle est entre les mains de monsieur de Trailles, qui la perdra.

— Elles ont renie leur pere, repetait Eugene.

— Eh ! bien, oui, leur pere, le pere, un pere, reprit la vicomtesse, un bon pere qui leur a donne, dit-on, a chacune cinq ou six cent mille francs pour faire leur bonheur en les mariant bien, et qui ne s’etait reserve que huit a dix mille livres de rente pour lui, croyant que ses filles resteraient ses filles, qu’il s’etait cree chez elles deux existences, deux maisons ou il serait adore, choye. En deux ans, ses gendres l’ont banni de leur societe comme le dernier des miserables…

Quelques larmes roulerent dans les yeux d’Eugene, recemment rafraichi par les pures et saintes emotions de la famille, encore sous le charme des croyances jeunes, et qui n’en etait qu’a sa premiere journee sur le champ de bataille de la civilisation parisienne. Les emotions veritables sont si communicatives, que pendant un moment ces trois personnes se regarderent en silence.

— Eh ! mon Dieu, dit madame de Langeais, oui, cela semble bien horrible, et nous voyons cependant cela tous les jours. N’y a-t-il pas une cause a cela ? Dites-moi, ma chere, avez-vous pense jamais a ce qu’est un gendre ? Un gendre est un homme pour qui nous eleverons, vous ou moi, une chere petite creature a laquelle nous tiendrons par mille liens, qui sera pendant dix-sept ans la joie de la famille, qui en est l’ame blanche, dirait Lamartine, et qui en deviendra la peste. Quand cet homme nous l’aura prise, il commencera par saisir son amour comme une hache, afin de couper dans le c?ur et au vif de cet ange tous les sentiments par lesquels elle s’attachait a sa famille. Hier, notre fille etait tout pour nous, nous etions tout pour elle, le lendemain elle se fait notre ennemie. Ne voyons-nous pas cette tragedie s’accomplissant tous les jours ? Ici, la belle-fille est de la derniere impertinence avec le beau pere, qui a tout sacrifie pour son fils. Plus loin, un gendre met sa belle-mere a la porte. J’entends demander ce qu’il y a de dramatique aujourd’hui dans la societe ; mais le drame du gendre est effrayant, sans compter nos mariages qui sont devenus de fort sottes choses. Je me rends parfaitement compte de ce qui est arrive a ce vieux vermicellier. Je crois me rappeler que ce Foriot…

— Goriot, madame.

— Oui, ce Moriot a ete president de sa section pendant la revolution ; il a ete dans le secret de la fameuse disette, et a commence sa fortune par vendre dans ce temps-la des farines dix fois plus qu’elles ne lui coutaient. Il en a eu tant qu’il en a voulu. L’intendant de ma grand’mere lui en a vendu pour des sommes immenses. Ce Goriot partageait sans doute, comme tous ces gens-la, avec le Comite de Salut Public. Je me souviens que l’intendant disait a ma grand’mere qu’elle pouvait rester en toute surete a Grandvilliers, parce que ses bles etaient une excellente carte civique. Eh ! bien, ce Loriot, qui vendait du ble aux coupeurs de tetes, n’a eu qu’une passion. Il adore, dit-on, ses filles. Il a juche l’ainee dans la maison de Restaud, et greffe l’autre sur le baron de Nucingen, un riche banquier qui fait le royaliste. Vous comprenez bien que, sous l’empire, les deux gendres ne se sont pas trop formalises d’avoir ce vieux Quatre-vingt-treize chez eux ; ca pouvait encore aller avec Buonaparte. Mais quand les Bourbons sont revenus, le bonhomme a gene monsieur de Restaud, et plus encore le banquier. Les filles, qui aimaient peut-etre toujours leur pere, ont voulu menager la chevre et le chou, le pere et le mari ; elles ont recu le Goriot quand elles n’avaient personne ; elles ont imagine des pretextes de tendresse. « Papa, venez, nous serons mieux, parce que nous serons seuls ! » etc. Moi, ma chere, je crois que les sentiments vrais ont des yeux et une intelligence : le c?ur de ce pauvre Quatre-vingt-treize a donc saigne. Il a vu que ses filles avaient honte de lui ; que, si elles aimaient leurs maris, il nuisait a ses gendres. Il fallait donc se sacrifier. Il s’est sacrifie, parce qu’il etait pere : il s’est banni de lui-meme. En voyant ses filles contentes, il comprit qu’il avait bien fait. Le pere et les enfants ont ete complices de ce petit crime. Nous voyons cela partout. Ce pere Doriot n’aurait-il pas ete une tache de cambouis dans le salon de ses filles ? il y aurait ete gene, il se serait ennuye. Ce qui arrive a ce pere peut arriver a la plus jolie femme avec l’homme qu’elle aimera le mieux : si elle l’ennuie de son amour, il s’en va, il fait des lachetes pour la fuir. Tous les sentiments en sont la. Notre c?ur est un tresor, videz-le d’un coup, vous etes ruines. Nous ne pardonnons pas plus a un sentiment de s’etre montre tout entier qu’a un homme de ne pas avoir un sou a lui. Ce pere avait tout donne. Il avait donne, pendant vingt ans, ses entrailles, son amour ; il avait donne sa fortune en un jour. Le citron bien presse, ses filles ont laisse le zeste au coin des rues.

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де Бальзак Оноре - Le pere Goriot Le pere Goriot
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