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Le pere Goriot - де Бальзак Оноре - Страница 11


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— Eh bien ! monsieurrePoiret, dit l’employe au Museum, comment va cette petite santerama ? Puis, sans attendre sa reponse : Mesdames, vous avez du chagrin, dit-il a madame Couture et a Victorine.

— Allons-nous dinaire ? s’ecria Horace Bianchon, un etudiant en medecine, ami de Rastignac, ma petite estomac est descendue usque ad talones.

— Il fait un fameux froitorama ! dit Vautrin. Derangez-vous donc, pere Goriot ! Que diable ! votre pied prend toute la gueule du poele.

— Illustre monsieur Vautrin, dit Bianchon, pourquoi dites-vous froitorama ? il y a une faute, c’est froidorama.

— Non, dit l’employe du Museum, c’est froitorama, par la regle : j’ai froit aux pieds.

— Ah ! ah !

— Voici son excellence le marquis de Rastignac, docteur en droit-travers, s’ecria Bianchon en saisissant Eugene par le cou et le serrant de maniere a l’etouffer. Ohe, les autres, ohe !

Mademoiselle Michonneau entra doucement, salua les convives sans rien dire, et s’alla placer pres des trois femmes.

— Elle me fait toujours grelotter, cette vieille chauve-souris, dit a voix basse Bianchon a Vautrin en montrant mademoiselle Michonneau. Moi qui etudie le systeme de Gall, je lui trouve les bosses de Judas.

— Monsieur l’a connu [connue] ? dit Vautrin.

— Qui ne l’a pas rencontre [rencontree] ! repondit Bianchon. Ma parole d’honneur, cette vieille fille blanche me fait l’effet de ces longs vers qui finissent par ronger une poutre.

— Voila ce que c’est, jeune homme, dit le quadragenaire en peignant ses favoris.

Et rose, elle a vecu ce que vivent les roses,

L’espace d’un matin.

— Ah ! ah ! voici une fameuse soupeaurama, dit Poiret en voyant Christophe qui entrait en tenant respectueusement le potage.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit madame Vauquer, c’est une soupe aux choux.

Tous les jeunes gens eclaterent de rire.

— Enfonce, Poiret !

— Poirrrrrette enfonce !

— Marquez deux points a maman Vauquer, dit Vautrin.

— Quelqu’un a-t-il fait attention au brouillard de ce matin ? dit l’employe.

— C’etait, dit Bianchon, un brouillard frenetique et sans exemple, un brouillard lugubre, melancolique, vert, poussif, un brouillard Goriot.

— Goriorama, dit le peintre, parce qu’on n’y voyait goutte.

— He, milord Gaoriotte, il etre questionne de veaus.

Assis au bas bout de la table, pres de la porte par laquelle on servait, le pere Goriot leva la tete en flairant un morceau de pain qu’il avait sous sa serviette, par une vieille habitude commerciale qui reparaissait quelquefois.

— He ! bien, lui cria aigrement madame Vauquer d’une voix qui domina le bruit des cuillers, des assiettes et des voix, est-ce que vous ne trouvez pas le pain bon ?

— Au contraire, madame, repondit-il, il est fait avec de la farine d’Etampes, premiere qualite.

— A quoi voyez-vous cela ? lui dit Eugene.

— A la blancheur, au gout.

— Au gout du nez, puisque vous le sentez, dit madame Vauquer. Vous devenez si econome que vous finirez par trouver le moyen de vous nourrir en humant l’air de la cuisine.

— Prenez alors un brevet d’invention, cria l’employe au Museum, vous ferez une belle fortune.

— Laissez donc, il fait ca pour nous persuader qu’il a ete vermicellier, dit le peintre.

— Votre nez est donc une cornue, demanda encore l’employe au Museum.

— Cor quoi ? fit Bianchon.

— Cor-nouille.

— Cor-nemuse.

— Cor-naline.

— Cor-niche.

— Cor-nichon.

— Cor-beau.

— Cor-nac.

— Cor-norama.

Ces huit reponses partirent de tous les cotes de la salle avec la rapidite d’un feu de file, et preterent d’autant plus a rire, que le pauvre pere Goriot regardait les convives d’un air niais, comme un homme qui tache de comprendre une langue etrangere.

— Cor ? dit-il a Vautrin qui se trouvait pres de lui.

— Cor aux pieds, mon vieux ! dit Vautrin en enfoncant le chapeau du pere Goriot par une tape qu’il lui appliqua sur la tete et qui le lui fit descendre jusque sur les yeux.

Le pauvre vieillard, stupefait de cette brusque attaque, resta pendant un moment immobile. Christophe emporta l’assiette du bonhomme, croyant qu’il avait fini sa soupe ; en sorte que quand Goriot, apres avoir releve son chapeau, prit sa cuiller, il frappa sur la table. Tous les convives eclaterent de rire.

— Monsieur, dit le vieillard, vous etes un mauvais plaisant, et si vous vous permettez encore de me donner de pareils renfoncements…

— Eh ! bien, quoi, papa ? dit Vautrin en l’interrompant.

— Eh ! bien ! vous payerez cela bien cher quelque jour…

— En enfer, pas vrai ? dit le peintre, dans ce petit coin noir ou l’on met les enfants mechants !

— Eh ! bien, mademoiselle, dit Vautrin a Victorine, vous ne mangez pas. Le papa s’est donc montre recalcitrant ?

— Une horreur, dit madame Couture.

— Il faut le mettre a la raison, dit Vautrin.

— Mais, dit Rastignac, qui se trouvait assez pres de Bianchon, mademoiselle pourrait intenter un proces sur la question des aliments, puisqu’elle ne mange pas. Eh ! eh ! voyez donc comme le pere Goriot examine mademoiselle Victorine.

Le vieillard oubliait de manger pour contempler la pauvre jeune fille dans les traits de laquelle eclatait une douleur vraie, la douleur de l’enfant meconnu qui aime son pere.

— Mon cher, dit Eugene a voix basse, nous nous sommes trompes sur le pere Goriot. Ce n’est ni un imbecile ni un homme sans nerfs. Applique-lui ton systeme de Gall, et dis-moi ce que tu en penseras. Je lui ai vu cette nuit tordre un plat de vermeil, comme si c’eut ete de la cire, et dans ce moment l’air de son visage trahit des sentiments extraordinaires. Sa vie me parait etre trop mysterieuse pour ne pas valoir la peine d’etre etudiee. Oui, Bianchon, tu as beau rire, je ne plaisante pas.

— Cet homme est un fait medical, dit Bianchon, d’accord ; s’il veut, je le disseque.

— Non, tate-lui la tete.

— Ah ! bien, sa betise est peut-etre contagieuse.

Le lendemain Rastignac s’habilla fort elegamment, et alla, vers trois heures de l’apres-midi, chez madame de Restaud en se livrant pendant la route a ces esperances etourdiment folles qui rendent la vie des jeunes gens si belle d’emotions : ils ne calculent alors ni les obstacles ni les dangers, ils voient en tout le succes, poetisent leur existence par le seul jeu de leur imagination, et se font malheureux ou tristes par le renversement de projets qui ne vivaient encore que dans leurs desirs effrenes ; s’ils n’etaient pas ignorants et timides, le monde social serait impossible. Eugene marchait avec mille precautions pour ne se point crotter, mais il marchait en pensant a ce qu’il dirait a madame de Restaud, il s’approvisionnait d’esprit, il inventait les reparties d’une conversation imaginaire, il preparait ses mots fins, ses phrases a la Talleyrand, en supposant de petites circonstances favorables a la declaration sur laquelle il fondait son avenir. Il se crotta, l’etudiant, il fut force de faire cirer ses bottes et brosser son pantalon au Palais-Royal. « Si j’etais riche, se dit-il en changeant une piece de trente sous qu’il avait prise en cas de malheur, je serais alle en voiture, j’aurais pu penser a mon aise. » Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud. Avec la rage froide d’un homme sur de triompher un jour, il recut le coup d’?il meprisant des gens qui l’avaient vu traversant la cour a pied, sans avoir entendu le bruit d’une voiture a la porte. Ce coup d’?il lui fut d’autant plus sensible qu’il avait deja compris son inferiorite en entrant dans cette cour, ou piaffait un beau cheval richement attele a l’un de ces cabriolets pimpants qui affichent le luxe d’une existence dissipatrice, et sous-entendent l’habitude de toutes les felicites parisiennes. Il se mit, a lui tout seul, de mauvaise humeur. Les tiroirs ouverts dans son cerveau et qu’il comptait trouver pleins d’esprit se fermerent, il devint stupide. En attendant la reponse de la comtesse, a laquelle un valet de chambre allait dire les noms du visiteur, Eugene se posa sur un seul pied devant une croisee de l’antichambre, s’appuya le coude sur une espagnolette, et regarda machinalement dans la cour. Il trouvait le temps long, il s’en serait alle s’il n’avait pas ete doue de cette tenacite meridionale qui enfante des prodiges quand elle va en ligne droite.

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де Бальзак Оноре - Le pere Goriot Le pere Goriot
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