Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 54
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— C'est impossible ! avait-il repondu seulement. Monseigneur, bien qu'il ne puisse venir en personne, s'y opposerait. Vous devez essayer de faire oublier qui vous etes et, pour cela, commencer par l'oublier vous- meme.
— N'y comptez pas ! avait replique Catherine pourpre de colere. Je ne consentirai jamais a oublier ma mere, ma s?ur, mon oncle, ni aucun de ceux qui me sont chers. Et j'aime autant vous prevenir tout de suite : si vous me refusez la joie de les recevoir dans cette maison dont on dit qu'elle va etre la mienne, aucune force humaine, pas meme la votre, ne m'empechera de les aller voir.
Garin avait hausse les epaules d'un air excede :
— Vous ferez ce que vous voudrez !... pourvu que ce soit discretement.
Cette fois, elle n'avait rien repondu mais il y avait huit jours que les futurs epoux ne s'etaient adresse la parole. Catherine boudait et visiblement, cette bouderie ne genait aucunement Garin qui ne se souciait pas de la faire cesser. L'absence de sa mere et de son oncle n'en etait pas moins cruelle a la nouvelle mariee. En revanche, elle etait fort peu sensible a la presence des envoyes du duc Philippe, retenu en Flandres : le nonchalant, l'elegant Hughes de Lannoy, ami intime de Philippe, dont l'insolent regard avait le privilege de mettre Catherine mal a son aise, et le jeune mais severe Nicolas Rolin, chancelier de Bourgogne depuis quelques jours. De toute evidence, tous deux accomplissaient la une corvee sans agrement, encore que le nouveau chancelier fut le plus intime ami de Garin. Mais Catherine n'ignorait pas qu'il desapprouvait entierement son mariage. Dans la salle principale du chateau, un festin attendait la douzaine d'invites du mariage. La salle, rechauffee de tapisseries d'Arras contre la bise exterieure, etait de dimensions exigues, le chateau lui-meme n'etant pas des plus grands : un manoir plutot, dont le corps central se flanquait d'une grosse tour et d'une tourelle. Mais la table, tendue de soie damassee et dressee devant un feu bien flambant, etait somptueusement servie dans des couverts de vermeil, car, pour rien au monde, meme pour ces noces sans eclat, le Grand Argentier n'eut voulu manquer a sa reputation de faste et d'elegance.
En entrant, Catherine alla tout de suite tendre ses mains froides aux flammes dansantes. Sara, promue premiere femme de chambre, l'avait debarrassee de sa houppelande. Elle eut volontiers abandonne egalement entre les mains de sa fidele servante, la haute coiffure argentee dont le croissant, etoile de saphirs, supportait un flot de dentelles mousseuses. La migraine lui serrait les tempes. Elle se sentait transie jusqu'a l'ame et n'osait pas chercher le regard de son epoux.
L'interet que Garin lui avait montre, au soir de l'attentat de Barnabe, n'avait pas resiste a la visite que Catherine lui avait faite, le lendemain meme. Depuis ce jour, la jeune fille ne l'avait que tres peu vu, car il avait accompagne le duc dans plusieurs deplacements. A Paris, notamment, ou Philippe avait sejourne au moment de la mort soudaine, survenue fin aout du roi d'Angleterre Henri V. Le vainqueur d'Azincourt etait mort, a Vincennes, du mal de saint Fiacre, laissant un enfant de quelques mois : le fils que lui avait donne Catherine de France. Mais, prudent, Philippe de Bourgogne avait refuse la Regence du royaume et, sans meme attendre les funerailles du conquerant, etait reparti pour les Flandres, n'en bougeant meme pas a l'annonce de la mort du roi Charles VI, pour n'avoir pas, lui prince francais, a s'effacer devant le duc de Bedford, devenu regent du Royaume. Garin de Brazey etait reste aupres de Philippe mais, chaque semaine, un messager etait venu de sa part, porter a sa fiancee quelque present : bijou, ?uvre d'art, livre d'heures richement enlumine par Jacquemart de Hesdin et meme un couple de grands levriers de Karamanie qui sont sans rivaux pour la chasse. Jamais, pourtant, le moindre mot n'accompagnait l'envoi. Par contre, Marie de Champdivers recevait regulierement des instructions au sujet des preparatifs du mariage et des habitudes mondaines qui devaient etre inculquees a la future mariee. Garin n'etait rentre que huit jours avant les noces, juste a temps pour refuser a Catherine la presence de sa famille.
Le repas nuptial fut triste malgre l'entrain que s'efforcait d'y mettre Hughes de Lannoy. Assise aupres de Garin dans le banc seigneurial, Catherine touchait a peine aux mets qui etaient servis, a l'exception de quelques bribes d'un magnifique brochet de la Saone aux herbes et de quelques prunes confites. Les aliments ne franchissaient sa gorge qu'avec peine et elle ne prononca pas trois paroles. Garin ne lui pretait aucune attention. Il ne s'occupait pas davantage d'ailleurs des autres dames presentes qui bavardaient entre elles. Lui parlait politique avec Nicolas Rolin passionne par la prochaine ambassade du chancelier a Bourg-en-Bresse ou, pour plaire au duc de Savoie sincerement epris de paix, les gens de Bourgogne et ceux de Charles VII allaient tenter de s'entendre.
A mesure que l'heure avancait, Catherine sentait croitre son malaise et, quand les serviteurs vetus de violet et d'argent apporterent les bassins de confitures, les pieces de nougat et les fruits au sucre qui composaient le dessert, elle sentit ses nerfs craquer et dut cacher ses mains tremblantes sous la nappe. Dans quelques instants, lorsqu'on se leverait de table, les dames la conduiraient a la chambre nuptiale ou elle serait abandonnee, seule en face de cet homme qui avait maintenant tous les droits sur elle. A la seule idee de son contact, la chair de Catherine se herissait sous les vetements de soie. De toutes ses forces, desesperement, elle tentait d'eloigner d'elle le souvenir de l'auberge de Flandres, le dessin d'un visage, le son d'une voix, la chaleur d'une bouche imperieuse. Son c?ur s'arretait lorsqu'elle evoquait Arnaud et leur trop bref moment d'amour. Tout ce qui pourrait venir ce soir, les gestes que ferait Garin, les paroles qu'il prononcerait, ne seraient que la derisoire parodie d'un instant precieux entre tous. Catherine savait trop bien qu'elle avait approche, de bien pres, le veritable amour de sa vie, celui pour lequel Dieu l'avait creee, pour n'en avoir point cruellement conscience. Devant elle, maintenant, rythmant sur la harpe les gracieuses evolutions d'une dizaine de danseuses, un menestrel chantait :
Ma seule amour, ma joie et ma maitresse, Puisqu'il me faut loin de vous demeurer, Je n'ai plus rien a me reconforter, Qu'un souvenir pour retenir liesse...
Les paroles melancoliques firent monter des larmes aux yeux de la jeune femme. Les vers repondaient si bien a la plainte de son propre c?ur ! C'etait comme si le menestrel lui avait un instant prete sa voix... Elle regarda le jeune garcon a travers un brouillard de larmes, vit qu'il etait tres jeune, mince et blond, avec des genoux encore mal degrossis, un visage enfantin... Mais la voix railleuse d'Hughes de Lannoy vint briser le charme et elle l'en detesta.
— Quelle chanson lugubre pour un soir de noces ! s'ecria-t-il. Vive Dieu, l'ami ! N'as-tu pas plutot quelque rondeau gaillard, bien propre a mettre en joie un couple nouveau marie ?
— La chanson est belle, intervint Garin. Je ne la connaissais pas.
D'ou la tiens-tu baladin ?
Le jeune chanteur rougit comme une fille, s'agenouilla avec humilite, otant son bonnet vert ou tremblait une plume de heron :
— D'un mien ami, messire, qui l'a rapportee d'au- dela de la mer.
— Une chanson anglaise ? Je n'en crois rien, fit Garin dedaigneux.
Ces gens-la ne savent chanter que la biere et les horions.
— S'il vous plait, messire, la chanson vient de Londres, mais elle est toute francaise. Dans sa geole anglaise, Monseigneur Charles d'Orleans compose ballades, odes et chansons pour distraire son ennui aux heures trop longues. Celle-ci a perce les murs de la prison et j'ai eu la chance de l'entendre...
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