Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 45
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La voix dure de Barnabe fouillait au plus profond de l'ame de la jeune fille avec l'impitoyable cruaute d'une lame de chirurgien. Il l'obligeait a voir clair en elle et la honte l'envahissait. Les apercus que cette nuit etrange lui donnait sur son etre intime etaient assez effrayants. Pourtant, si la mort seule de Garin pouvait la preserver d'une union qui lui faisait a la fois peur et horreur, Catherine etait prete a l'envisager froidement. Elle le signifia a Barnabe avec une determination glacee qui confondit le Coquillart.
— Je ne veux pas appartenir a cet homme. Arrange-toi comme tu voudras !
A nouveau le silence, dense, epais comme une masse de terre, entre la fille muree dans sa resolution et le truand confondu de ce qu'il decouvrait en elle. Au fond Barnabe la retrouvait ainsi plus proche de lui ; plus comprehensible, un peu comme si cette enfant qu'il aimait etait sa fille a lui au lieu d'etre celle de paisibles artisans.
Comment le bon Gaucher et la pieuse Jacquette avaient-ils pu donner le jour a ce petit fauve en jupons ? Barnabe sourit interieurement de leur stupeur s'ils avaient pu savoir. Il finit d'ailleurs par sourire pour de bon.
— Je verrai ce que je peux faire, dit-il enfin. Maintenant il faut rentrer chez toi. Tu n'as pas eu d'ennuis en venant ?
En quelques mots, Catherine lui raconta sa rencontre avec Dimanche-l'Assommeur et Jehan des Ecus et comment elle avait reussi a se faire respecter.
— Ca me parait une bonne escorte, approuva Barnabe. Je vais leur faire dire de te reconduire. Sois tranquille, tu peux avoir confiance en eux quand c'est moi qui te les donne comme anges gardiens.
En effet, quelques minutes plus tard, toujours flanquee de ses deux sinistres compagnons, Catherine quittait la taverne de Jacquot de la Mer, y laissant Sara endormie sur les marches de l'escalier. Le retour fut aussi paisible que l'aller avait ete mouvemente. Quand une ombre inquietante se manifestait, l'un ou l'autre des deux gardiens murmurait quelques mots dans l'incomprehensible langage des truands, et l'ombre s'evanouissait dans la nuit.
Le vent se levait amenant l'orage, quand les deux truands prirent conge de leur protegee a l'entree de la rue Griffon. La maison de Mathieu etait en vue et Catherine ne craignait plus rien. Elle s'etait d'ailleurs si bien familiarisee avec sa dangereuse compagnie qu'elle put la remercier gentiment. Ce fut Jehan des Ecus qui repondit pour les deux. Dans cette bizarre association il semblait etre le cerveau alors que Dimanche representait la force brutale.
— Je mendie habituellement au portail de Saint- Benigne, lui dit-il.
Tu m'y trouveras toujours si tu as besoin de moi. Tu es deja l'amie de Barnabe, tu seras la mienne aussi, si tu le veux bien.
La voix cassee, grincante, avait pris d'etranges inflexions, d'une douceur inattendue, qui acheverent de detruire le mauvais souvenir de tout a l'heure. Elle savait deja que, chez les truands, une offre d'amitie est toujours sincere parce que rien n'y oblige. De meme qu'une menace ne doit jamais etre dedaignee.
La porte de la maison grinca a peine sous la main de Catherine. Elle remonta l'escalier sans faire le moindre bruit et gagna son lit. L'oncle Mathieu ronflait toujours.
La nuit avait ete trop courte pour le sommeil de Catherine. Elle n'entendit pas le beffroi de Notre- Dame sonner l'ouverture des portes et resista a la main seche de Loyse qui pretendait la faire lever pour se rendre a la messe. Loyse, furieuse, finit par abandonner, vaincue par la force d'inertie, en predisant a sa s?ur la damnation eternelle. Mais Catherine, insensible a tout ce qui n'etait pas le confort moelleux de son lit, n'en reprit pas moins paisiblement son sommeil et ses reves.
Il etait tout pres de neuf heures quand, enfin, elle descendit a la cuisine. L'atmosphere semblait y etre a l'orage.
Sur des treteaux, pres de l'atre, Jacquette repassait le linge familial en se servant de fers creux dans lesquels elle mettait, de temps en temps, une pelletee de braises rouges. La sueur perlait a son front, sous la coiffe de toile blanche et elle pincait les levres avec une expression que Catherine connaissait bien. Quelque chose avait du la mecontenter. Elle rongeait son frein toute seule. Le fer ecrasait le linge d'un geste significatif... Lui tournant le dos, assise aupres de la fenetre, Loyse filait au fuseau, sans rien dire elle non plus. Ses doigts maigres tordaient le lin, vite, vite, et le fil s'enroulait sur la bobine placee aupres d'elle. A voir la tete qu'elle faisait, Catherine se douta que quelque chose s'etait passee entre elle et sa mere.
Mais a sa grande surprise, elle constata que Sara etait rentree. La gitane avait du revenir aux premieres lueurs de l'aube et maintenant, vetue de son habituelle robe de futaine bleu fonce, un grand tablier blanc noue a la taille, elle epluchait tout un panier de choux de Senlis pour faire la soupe. Elle seule se retourna a l'entree de la jeune fille et lui adressa un clin d'?il entendu. La creature passionnee de la nuit s'etait rendormie au fond de l'ame de cette femme etrange et Catherine n'en trouvait plus trace maintenant sur le visage familier. Mais Loyse, elle aussi, avait vu entrer sa s?ur, et, mechamment, elle siffla :
— Saluez, esclaves, voici haute et puissante dame de Brazey... qui daigne quitter sa chambre pour descendre jusqu'a la valetaille.
— Tais-toi, Loyse ! coupa Jacquette froidement. Laisse ta s?ur tranquille.
Mais il en fallait plus pour faire taire Loyse quand elle avait quelque chose sur le c?ur. Lachant son fuseau, elle sauta sur ses pieds, se planta en face de sa s?ur, les poings aux hanches, la bouche mauvaise.
— Te lever a l'aube, ce n'est plus digne de toi, hein ? Les gros travaux, la messe matinale, c'est tout juste bon pour moi et pour ta mere. Toi, tu fais ta princesse, tu te crois deja chez ton argentier borgne.
Jacquette rejeta son fer dans l'atre avec fureur. Elle avait rougi jusqu'a la racine de ses cheveux encore blonds. Mais Catherine ne lui laissa pas le temps d'eclater.
— J'avais mal dormi, fit-elle avec un leger haussement d'epaules.
Je suis restee un peu plus longtemps au lit. Ce n'est pas un crime. Je travaillerai plus tard ce soir, voila tout.
Tournant le dos a Loyse dont le visage convulse lui donnait mal au c?ur, Catherine embrassa rapidement sa mere et se courba vers l'atre pour reprendre le fer abandonne. Elle saisissait deja la petite pelle pour y remettre des braises quand Jacquette s'interposa :
— Non, ma fille... tu ne dois plus faire ces travaux. Ton fiance ne le veut plus. Il te faut, maintenant, t'initier a la vie qui va etre la tienne... et nous n'avons pas trop de temps pour cela.
Le ton triste et resigne de sa mere fit tout de suite monter la colere de Catherine.
— Qu'est-ce que cette histoire ? Mon fiance ? Je n'ai pas encore dit que je l'acceptais. Et s'il veut m'epouser, il faudra qu'il me prenne comme je suis.
Tu n'as pas la possibilite de refuser, petite. Un page de la duchesse-douairiere est venu ce matin. Tu dois quitter cette maison et aller habiter jusqu'a ton mariage chez la dame de Champdivers, epouse du chambellan de Monseigneur Philippe. Elle te formera a la vie de cour, t'apprendra belles manieres et courtoises facons.
A mesure que sa mere parlait, la colere de Catherine gonflait. Les yeux rouges de Jacquette disaient assez son chagrin et le ton las de sa voix augmentait encore la fureur de la jeune fille.
— Pas un mot de plus, mere ! Si messire de Brazey veut m'epouser, je ne peux l'en empecher puisque c'est un ordre de Monseigneur Philippe. Mais quant a renier les miens pour m'en aller vivre chez d'autres, quitter cette maison et prendre logis dans une demeure ou je ne serais pas dans mes aises, ou l'on me dedaignera peut-etre, cela, jamais ! Je m'y refuse !...
Le ricanement sceptique de Loyse vint mettre un comble a la rage de Catherine qui tourna sa fureur contre elle.
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