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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 43


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Quand ils furent devant la maison, une ombre se detacha de la porte. Catherine vit briller une hache.

— La passe ? fit une voix rogue.

— Ferme a la manche ! repliqua Jehan des Ecus.

— Ca va, passez !...

La porte s'ouvrit, decouvrant l'interieur du fameux cabaret de Jacquot de la Mer, rendez-vous de la pegre dijonnaise. Les bons bourgeois n'en parlaient qu'a mots couverts, en se signant et avec une terreur sacree. On ne comprenait pas a premiere vue que le vicomte mayeur laissat subsister cette demeure du peche.

N'importe quelle dame dijonnaise se fut evanouie d'horreur si elle avait pu deviner que, parfois, a la nuit close, son respectable epoux se glissait jusqu'a la maison reprouvee pour y monnayer les charmes faciles d'une belle fille. Mais Jacquot de la Mer s'y entendait a choisir ses pensionnaires et sa maison pouvait soutenir avantageusement la comparaison avec les etuves les plus fameuses. En bon commercant, il tenait a satisfaire sa clientele...

Au premier regard, Catherine ne vit rien qu'un kaleidoscope de couleurs violentes. Une clameur de cris et de musique lui sauta a la figure mais se calma subitement tant l'apparition de cette belle fille, pale et echevelee, entre ses deux sinistres compagnons, etait etrange.

La jeune fille put distinguer alors la grande salle basse et voutee ou l'on descendait par quelques marches de pierre. Au fond, dans une gigantesque cheminee trois moutons rotissaient ensemble et, un peu partout, il y avait des bancs, des tables de bois graisseux, toutes occupees. Un escalier de bois montait au fond de la piece, se perdait dans le plafond. Les buveurs offraient un aspect bigarre ; il y avait quelques soldats ivres, et aussi de jeunes gars aux yeux ecarquilles, des etudiants ou des apprentis venus la s'encanailler. Pres de l'atre, deux vieilles s'occupaient de la cuisine mais, un peu partout, sur les bancs, sur les genoux des buveurs ou assises a meme la table parmi les flaques de vin et les gobelets d'etain il y avait des filles, le corsage largement degrafe ou meme completement nues. Leurs corps mettaient des taches pales dans la penombre fumeuse. Les flammes des quinquets et celles de l'atre dansaient sur les peaux claires ou mates avec des reflets de satin et aussi sur les trognes ecarlates des ivrognes avec des rougeoiements de rubis au soleil.

L'instant d'etonnement cause par leur entree passe, la bacchanale avait repris tandis que Catherine et ses gardiens descendaient les marches. Les cris, les danses reprirent. Une fille au corps brun, aux seins lourds avait saute sur une table et se contorsionnait lascivement au milieu d'une foret de mains tendues. Catherine, epouvantee, se crut en enfer et ferma les yeux.

Du fond de son souvenir, des images analogues se levaient, celles qu'elle avait surprises dans la Grande Cour des Miracles, quand elle se cachait dans la masure de Barnabe, mais alors qu'a cette epoque elles avaient seulement etonne et vaguement effraye l'enfant qu'elle etait, elle s'etonnait, s'indignait meme de l'etrange plaisir trouble que celles-ci faisaient naitre en elle.

La femme qui chantait tout a l'heure recommenca une autre chanson, et le son rauque, nostalgique et bas de sa voix fit rouvrir les yeux de Catherine. Cette femme, vetue d'une robe de satin couleur flamme, des sequins d'or dans les cheveux, etait assise sur l'escalier du fond, au milieu d'une troupe d'hommes. Un joueur de luth, penche vers elle, l'accompagnait. Elle chantait les yeux clos, les mains nouees autour de ses genoux et Catherine ne sursauta qu'a peine en la reconnaissant parce que, decidement, cette nuit etait la nuit des surprises. C'etait Sara...

Elle n'avait pas remarque Catherine et l'eut-elle fait que cela n'eut servi a rien car, ainsi que la jeune fille put s'en rendre compte, elle etait ivre. Mais d'une ivresse dans laquelle le vin n'avait ete que le support, l'agent conducteur qui avait permis a la tzigane d'oublier son monde actuel pour s'en retourner en esprit vers sa lointaine tribu et sa vie sauvage. Medusee, Catherine l'ecoutait. Bien souvent, Sara avait chante le soir, pour l'endormir surtout dans les premiers temps de leur exil en Bourgogne, mais jamais avec cette voix rauque et passionnee, jamais avec cette douleur insoutenable...

Dans cette femme en transes qui n'avait plus que les traits de sa compagne de chaque jour, Catherine voyait surgir la fille sauvage, l'enfant qui avait vu le jour dans un chariot nomade, au long d'une piste de la lointaine Asie. Elle ne s'offusquait pas d'avoir perce le secret de ses fugues, de la retrouver dans cette taverne louche ou, par la seule magie de son chant, elle domptait ces fauves a face humaine, les hommes de Jacquot de la Mer...

Une forme humaine s'interposa entre elle et la chanteuse, un homme long et pale, au teint si bleme qu'il paraissait decolore par un long sejour dans l'eau. Un jour, quelques annees plus tot, Catherine avait vu retirer de l'Ouche le corps d'un noye. Le nouvel arrivant avait exactement cette couleur et son aspect surnaturel etait encore renforce par deux prunelles d'un vert deteint, aquatique. D'epaisses paupieres, cornees comme celles des tortues, voilaient la plupart du temps ces yeux inquietants. Il portait une robe courte en tiercelin gris souris ou flottait son ossature que la peau epousait comme une toile mouillee.

Ses gestes lents, comme endormis, ajoutaient encore a son aspect fantomal.

— Qui est celle-la ? fit-il en designant Catherine d'un long doigt blanc.

Dimanche-l'Assommeur ne gagnait rien a la lueur des quinquets, car elle revelait sa figure grelee et sa joue droite, couturee par le fer rouge du bourreau.

Ce fut lui qui repondit :

— Une petite chevre, sauvage en diable, qu'on a trouvee dans la rue. Elle a dit qu'elle venait te voir, Jacquot.

Les longues levres sinueuses et decolorees du roi de la Coquille s'etirerent encore en une grimace qui pouvait passer pour ce qu'elle etait, un sourire. Sa main effleura le menton de Catherine qu'il releva.

— Jolie ! apprecia-t-il. C'est la reputation de mon charme qui t'attire vers moi, ma belle ?

— Non, repondit nettement la jeune fille. (Peu a peu, elle retrouvait tout son aplomb.) Je suis venue parce que je voudrais voir Barnabe. Il m'a dit de m'adresser a vous si j'avais besoin de lui. Et j'ai besoin de lui !

La lueur trouble, un instant allumee dans les yeux de Jacquot, s'eteignit sous le rideau des paupieres tandis que l'affreux et contrefait Jehan des Ecus, rejetant ses oripeaux rouges et le feutre dechiquete qui le coiffait, dardait sur Catherine un regard flamboyant.

— Je sais maintenant qui tu es, la belle... Tu es la niece de cet ane de Mathieu Gautherin, la belle Catherine... la plus belle pucelle de toute la Bourgogne ! Je ne regrette pas de t'avoir respectee, fille, car tu es destinee a plus haut que moi. Si je t'avais touchee, je risquais la corde...

Un geste expressif completait les paroles du petit homme. Avec etonnement Catherine vit qu'il etait jeune et que, malgre les tics nerveux qui le deformaient, son visage avait des traits fins et que ses yeux etaient beaux.

— La corde ? fit-elle sincerement surprise, pourquoi ?

Parce que le duc te veut pour lui... qu'il t'aura. Mais tout compte fait, j'aurais du contenter mon envie. T'avoir, puis la corde, ca doit etre une merveilleuse facon de vivre en raccourci. Tu en vaux la peine !

Jacquot de la Mer trouvait sans doute que la conversation durait trop. Lentement sa main agrippa l'epaule de Catherine.

— Si tu veux voir Barnabe, monte la-haut ! Le galetas tout en haut de la maison. Il est couche parce qu'il a pris un mauvais coup il y a trois jours du cote de Chenove, mais tu auras peut-etre du mal a te faire entendre parce qu'il doit etre ivre mort a cette heure. Le vin, c'est tout ce qu'il accepte comme medicament.

Propulsee par la main du tenancier, Catherine monta les premieres marches. Elle passa aupres de Sara. Sa robe effleura meme celle de la gitane mais Sara avait ferme les yeux. Elle chantait toujours, perdue dans son monde interieur, a mille lieues de ce bouge.

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