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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 1


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Juliette Benzoni

Catherine Il suffit d'un amour Tome 1

Vingt hommes vigoureux s'etait atteles au belier, une enorme poutre de chene prise a un chantier voisin. Ils reculaient de quelques pas puis, avec ensemble, se ruaient de toute leur vitesse sur les vantaux armes de fer qui resonnaient comme un gigantesque tambour, rythmant leur effort de « Han... » durement scandes. Sous les coups redoubles dont la fureur populaire augmentait la cadence, les portes de l'hotel royal gemissaient. Un craquement, deja, s'etait produit malgre les peintures de fer aux immenses volutes qui renforcaient les battants.

C'etait une haute et double porte de chene epais sous une ogive de pierre que gardaient deux anges agenouilles, mains jointes, de chaque cote des armes royales de France dont l'azur fleurdelise d'or brillait doucement sous le soleil d'avril. Plus haut, au-dessus des creneaux d'ou les archers de garde tiraient sur la foule, c'etait l'envol des toits, la dentelle flamboyante et fantastique des hautes lucarnes de l'hotel Saint-Pol, la cime des arbres, le ciel sur lequel flottaient les grandes bannieres de soie brodee. La-haut, c'etait la douceur d'un jour de printemps, le chaud soleil qui dansait sur les murs enlumines comme des pages de missel, le vol rapide des hirondelles... en bas, le sang coulait, la colere grondait, la poussiere, brassee par des centaines de pieds, montait en suffocants nuages.

Une fleche siffla. Tout pres de l'endroit ou se tenaient Landry et Catherine, un homme tomba lourdement, la gorge traversee, avec un affreux cri rauque qui s'acheva en gargouillis. La jeune fille cacha precipitamment son visage entre ses mains pour ne plus voir, se tassa contre son compagnon dont le bras protecteur entoura ses epaules.

— Ne regarde pas, fit Landry. J'ai eu tort de t'emmener, pauvrette.

Ce ne sera surement pas le dernier.

Tous deux s'etaient hisses sur un banc de pierre, a l'entree d'un boyau qui serpentait, noir et gluant d'humidite, entre l'echoppe d'un tailleur et la boutique, dument cadenassee, d'un apothicaire. De la, ils pouvaient tout voir. Aucun des mouvements des hommes atteles au belier ne leur echappait. Mais, des creneaux de l'hotel, les archers tiraient maintenant avec une sorte de rage. Fleches et carreaux d'arbaletes faisaient pleuvoir sur la foule revoltee une grele meurtriere, ouvrant de breves lezardes tot refermees, dans la masse des corps. Prudemment, Landry fit descendre Catherine de son perchoir, se noya avec elle dans la foule.

La fatigue et la peur commencaient a se faire sentir chez les deux adolescents. Ils avaient quitte, tot le matin, leurs maisons du Pont-au-Change, profitant de l'absence de leurs parents. La fievre, dont brulait Paris depuis la veille, avait attire ceux-ci qui a la Maison aux Piliers, qui chez sa voisine en mal d'enfants, qui dans les milices populaires.

Mais ni Catherine ni Landry ne reconnaissaient leur ville dans cette cite chauffee a blanc d'ou la fureur et le carnage jaillissaient a chaque carrefour pour un mot ou une chanson.

Leur univers quotidien, c'etait le Pont-au-Change, avec son entassement de maisons aux toits aigus delimitant une rue etroite ou defilait, entre le Palais et le Grand Chatelet, toute la ville. Le pere de Catherine, Gaucher Legoix, y etait orfevre a l'enseigne de « l'Arche d'Alliance » comme d'ailleurs celui de Landry, Denis Pigasse, et leurs boutiques etaient voisines. Elles faisaient face aux echoppes des changeurs, lombards ou normands, qui occupaient l'autre cote du pont.

Jusqu'a ce jour, Catherine n'avait guere pousse ses expeditions avec Landry au-dela du parvis de Notre- Dame, des sinistres ruelles de la Grande Boucherie ou des pont-levis du Louvre. Les quinze ans du garcon, par contre, lui avaient permis des etudes beaucoup plus poussees sur les lieux bizarres de Paris et il connaissait chaque recoin de la capitale comme sa propre poche. C'etait lui, qui avait eu l'idee d'amener sa petite amie devant l'hotel Saint-Pol, ce vendredi matin, 27 avril 1413.

— Viens donc, lui avait-il dit. Caboche a jure qu'aujourd'hui il entrerait dans la maison du Roi pour en arracher les mauvais conseillers de Monseigneur le Dauphin. Il suffira d'entrer derriere lui et tu pourras voir, a ton aise, toutes les belles choses qu'il y a la-bas.

Caboche !... Autrement dit Simon le Coutelier, l'ecorcheur de la Grande Boucherie, le fils de la tripiere du marche Notre-Dame, l'homme qui avait souleve les masses populaires contre le pouvoir illusoire du malheureux Charles VI, le roi fou, et la puissance aussi reelle que desastreuse d'Isabeau la Bavaroise.

C'etait grande pitie, en effet, au royaume de France, en ces jours troubles. Le roi dement, la reine inconsciente et debauchee et, depuis le meurtre, six ans plus tot, du Duc d'Orleans par Jean-Sans-Peur, duc de Bourgogne, le pays livre a l'anarchie. Insoucieux du peril anglais toujours pret a revenir, les partisans de l'un et de l'autre prince, Armagnacs et Bourguignons, se livraient a travers la France qu'ils ravageaient a l'envi une lutte sans pitie ni merci. A cette heure, les Armagnacs cernent Paris, tout devoue au malin autant que demagogue Jean de Bourgogne. Par la riche corporation de bouchers dont il a fait ses fideles, il orchestre les troubles. En nom, le pouvoir appartient au Dauphin, Louis de Guyenne, un garcon de seize ans nettement depasse par les evenements. En fait, le roi de Paris, c'est Caboche l'ecorcheur, avec la benediction de l'Universite que mene son turbulent recteur Pierre Cauchon.

Ils sont la tous les deux, Caboche et Cauchon, a la tete de la meute qui assiege l'hotel royal. Debout devant les gardes de la porte, desarmes et ficeles, que maintiennent des garcons bouchers aux tabliers de cuir taches de sang caille, Caboche hurle des ordres, rythmant le balancement forcene du belier. Tiree par la main sans douceur de Landry, rasant les murs des maisons pour trouver un observatoire a l'abri des fleches, Catherine pouvait voir, par-dessus le moutonnement des tetes, l'imposante carrure du meneur, ses epaules de lutteur sous la casaque verte, barree d'une croix de Saint-Andre blanche, aux couleurs de Bourgogne, le visage ecarlate, convulse par la fureur et ruisselant de sueur. A la main, il tenait une banniere blanche, embleme de Paris, qu'il agitait furieusement.

— Plus fort ! hurlait-il, tapez plus fort ! Enfoncez- moi ce nid de charognards ! Par la mordieu ! Plus fort ! Ca craque deja !...

En effet, la porte venait de rendre un son fele qui annoncait sa prochaine rupture. Les vingt hommes, tendus par l'effort, reprirent du champ, reculant profondement dans la foule pour se lancer de plus loin. Landry eut juste le temps de jeter Catherine derriere l'arc-boutant d'une chapelle pour qu'elle ne fut pas ecrasee par le reflux contre la muraille. Elle se laissait faire sans resistance, hypnotisee par l'ecorcheur dont les hurlements avaient atteint une telle violence qu'on ne comprenait plus ce qu'il disait. D'un geste brusque, il ouvrit son pourpoint, decouvrant des muscles epais couverts de poils roux puis, retroussant ses manches, planta profondement la banniere en terre avant d'aller s'atteler a la tete de la poutre.

— Allez ! brailla Caboche... Avec moi et que nous aide Monseigneur Saint-Jacques !...

— Vive Monseigneur Saint-Jacques, vive la Grande Boucherie !

hurla Landry emporte par son enthousiasme.

Catherine le regarda avec mecontentement.

— Ne crie pas « Vive Caboche », sinon je m'en vais.

— Pourquoi donc ? fit Landry sincerement surpris. C'est un grand chef !

— Non ! C'est une brute ! Mon pere le deteste, ma s?ur Loyse aussi, qu'il recherche en mariage et, a moi, il me fait peur. Il est trop laid !

— Laid ? (Landry ouvrit de grands yeux.) Qu'est- ce que ca peut bien faire ? On n'a pas besoin d'etre beau pour etre un grand homme.

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