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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 60


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Tres droit sur sa selle brodee, dominant d'une tete ses compagnons, il etait vetu a l'orientale, mais de soie noire brodee d'or qui tranchait sur les couleurs brillantes des autres, et il portait, negligemment rejete en arriere, son grand burnous de fine laine blanche... Son beau visage aux traits durs, au profil imperieux s'etait creuse, affine et basane presque autant que ceux des Maures. Ses yeux noirs y brulaient d'un feu sombre, mais, pres des tempes, de legeres griffures argentees marquaient ses epais cheveux noirs.

Clouee au sol, bouleversee jusqu'a l'ame, Catherine le devorait des yeux tandis qu'il s'avancait au pas nerveux de sa jument, indifferent, lointain, ne pretant guere d'attention qu'au grand faucon pose sur son poing et qu'il approchait parfois de son visage comme pour lui parler.

Sans voix, etranglee par l'emotion, Catherine etait aussi immobile que si la foudre l'avait frappee. Elle savait bien qu'il vivait a quelques pas d'elle, mais de se trouver tout a coup en face de lui, de le revoir, si proche et tellement inaccessible a la fois !... Non, cela, elle n'y etait pas preparee, elle ne s'y attendait pas.

Indifferents au drame qui se jouait a quelques pas d'eux, les cavaliers poursuivaient leur chemin. Ils allaient s'eloigner, disparaitre a l'angle d'un palais de briques rouges dont les rares et minces fenetres avaient d'epais moucharabiehs... Un elan jeta Catherine sur les pas de cette haute silhouette blanche et noire qui s'engageait dans l'etroite ruelle. Mais deux poignes solides s'abattirent sur ses bras et l'immobiliserent tandis que l'eunuque, roulant de gros yeux affoles, venait de se placer devant elle, barrant le passage.

— Lachez-moi ! gronda la jeune femme. Qu'est-ce qui vous prend

? Je ne suis pas prisonniere, je pense...

— Les ordres de Fatima sont formels, fit l'une des femmes d'un ton d'excuse. Nous devons t'empecher a tout prix "de faire quoique ce soit qui puisse te mettre en danger. Tu voulais t'elancer sur la trace des princes... n'est-il pas vrai ?

— Est-il defendu de les voir de plus pres ?

— Certes ! Les cimeterres de leurs guerriers frappent vite, d'autant plus qu'ils escortent aussi le prisonnier franc de la princesse. Ta tete aurait pu tomber avant meme que tu t'en sois apercue... et le baton de Fatima n'aurait guere epargne nos epaules !

Apparemment, c'etait cela surtout, plus que la voir mourir, que craignaient les serviteurs de l'Ethiopienne... mais, au fond, ils avaient raison. S'ils l'avaient laissee faire, a quelle imprudence se serait-elle livree ? Aurait- elle pu empecher sa voix d'appeler l'homme qu'elle aimait, ses mains d'arracher le voile qui cachait son visage, pour qu'il put la reconnaitre ? Le scandale public rapporte a Zobeida, c'etait la mort pour elle... pour lui aussi peut-etre... Non... tout etait bien ainsi !

Mais que cet instant avait ete cruel !

Tremblant encore de l'emotion violente ressentie, Catherine tourna lentement les talons.

— Rentrons ! soupira-t-elle. Je n'ai plus envie de me promener dans les souks. Il fait deja si chaud !

Pourtant, elle s'arreta pres du mur de la petite mosquee au dome vert... Deux mendiants, l'un grand et maigre, debout, bras croises sous ses loques, et l'autre, petit et contrefait, assis sur sa jambe unique, regardaient disparaitre au loin le cortege eclatant des chasseurs.

Quelques-unes de leurs paroles vinrent frapper la jeune femme.

— Le captif franc de la princesse s'ennuie dans les merveilles d'Ai Hamra. As-tu vu comme il est sombre ?

Quel homme ayant perdu le bien precieux de la liberte ne le serait ?

Ce roumi est un guerrier. Cela se voit a son allure... et a ses cicatrices.

Et la guerre est la plus enivrante des boissons. Il n'a plus que l'amour.

C'est peu...

Pour pouvoir ecouter, Catherine faisait mine de chercher une petite pointe enfoncee dans son pied, mais, courbee et soutenue par les deux femmes dont l'une, agenouillee dans la poussiere, examinait attentivement le pied, elle ecoutait de toute son ame. La moindre parole concernant Arnaud etait pour elle un bien precieux. La suite etait encore bien plus importante car le grand mendiant nonchalant continuait :

— Aussi l'on dit que Zobeida songe a lui faire passer la mer bleue.

Les terres immenses du vieux Maghreb seront plus douces aux sabots de son coursier et, la-bas, les tribus rebelles sont nombreuses. Le sultan acceptera sans doute d'employer un homme de guerre meme infidele, un cavalier aussi consomme... il ne serait pas le premier a se convertir a la vraie foi !

— Notre calife accepterait de laisser partir sa s?ur ?

— Qui donc a jamais pu s'opposer a la volonte de Zobeida ? As-tu vu qui s'est constitue le gardien de son precieux otage ? Le vizir Aben-Ahmed Banu Saradj en personne... Elle partira quand elle voudra et le sultan merinide lui fera grand accueil.

Mais un groupe de femmes richement vetues approchait et les deux mendiants abandonnerent leurs propos pour se lancer dans une imploration geignarde, destinee a leur attirer des aumones. Catherine, d'ailleurs, en avait assez entendu. Rechaussant vivement sa babouche abandonnee, elle empoigna son grand voile a deux mains et, avant que ses gardiennes, encore accroupies, aient eu, cette fois, le temps de la retenir, elle s'etait mise a courir a toutes jambes vers la maison de Fatima.

Les potins des deux mendiants l'avaient jetee dans la plus folle panique. Pour que ces hommes des rues parlassent d'Arnaud avec cet interet, pour que la ville retentit de son nom a chaque carrefour, il fallait que le captif franc souleva de bien profondes vagues de curiosite et d'interet. Il fallait que Zobeida en eut fait vraiment un personnage d'exception, presque de legende... et ce personnage-la devait etre garde de pres. Si cette maudite princesse emmenait Arnaud en Afrique, il faudrait encore le poursuivre, reprendre la route, courir de nouveaux risques, cette fois a peu pres insurmontables puisque, dans les villes mysterieuses de ce pays qu'on appelait Maghreb, elle n'aurait plus la maison d'Abou- al-Khayr, ni l'aide du petit medecin. A tout prix, il fallait empecher cela, reprendre Arnaud avant, fuir avec lui enfin...

Un instant, elle eut la tentation de courir droit chez le petit medecin, mais, a cette heure-la, elle le savait, il etait chez ses malades. Et les gardiennes du hammam auraient tot fait de la rattraper avant la maison de son ami. Elle s'engouffra donc dans la demeure de Fatima et, toujours courant, se precipita dans le patio interieur, plante de citronniers, de grenadiers et de vigne. Mais, au seuil de la colonnade qui entourait le jardin clos, elle s'arreta, contrariee : Fatima etait bien la, mais elle n'etait pas seule. Drapee dans une invraisemblable robe rayee de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, un voile roule en turban masculin autour de sa tete crepue, la grosse Ethiopienne se promenait dans les petites allees enlacees autour de la vasque rose du centre.

Aupres d'elle, Catherine reconnut la vieille de l'autre jour bien que, cette fois, le brocart qui l'empaquetait fut d'un mauve crepusculaire brode de larges fleurs vertes.

Apercevant Catherine, a la fois haletante de sa course et hesitante au bord du jardin, Fatima comprit qu'il se passait quelque chose et, abandonnant, avec un mot d'excuse, sa visiteuse, elle rejoignit hativement la jeune femme.

— Qu'y a-t-il ? Que t'est-il arrive ? Ou sont tes gardiennes ?

— Elles me suivent. Je suis venue te dire adieu, Fatima, adieu et merci. Je dois rentrer chez mon... maitre !

— Il n'est pas venu te reclamer, que je sache. L'as-tu donc rencontre ? fit la negresse d'un ton charge de doute.

— Non. Mais il faut que je rejoigne sa maison au plus vite...

— Te voila bien pressee ? D'autant plus qu'Abou le medecin n'est pas chez lui. Il a ete appele a l'Alcazar Genil. La sultane s'est blessee en prenant son bain.

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