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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 38


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— Souffrir ? Crois-tu ?... Regarde comme il dort bien !

En effet, dans les liens qui le retenaient, Gauthier dormait comme un enfant, sans bouger meme le petit doigt.

— Il s'eveillera sous le couteau !

— Le sommeil qui est le sien se moque du couteau comme de la flamme. Il dort, non pas parce que je lui ai donne une drogue... mais parce que je lui ai ordonne de dormir. Et il ne s'eveillera que lorsque je lui en donnerai l'ordre !

Catherine sentit ses cheveux se dresser sur sa tete. Elle jeta au Maure un regard si charge d'epouvante, en se signant plusieurs fois, qu'il ne put s'empecher de rire.

— Non, je ne suis pas ce demon dont les chretiens ont si peur !

Simplement, j'ai etudie a Boukhara et a Samarkand. Les mages, la-bas, savent utiliser une puissance, nee de la volonte humaine et propagee par la lumiere qu'ils nomment magnetisme, mais c'est une chose difficile a expliquer, surtout a une femme. Maintenant, je vais commencer... Va-t'en !

Tout en parlant, il immobilisait au moyen d'un lien de cuir la tete du blesse dans la position voulue, puis, saisissant dans la paume de sa main un scalpel a la lame etincelante, pratiqua rapidement une incision circulaire de la peau. Le sang perla, coula, Catherine palit.

Don Alonso la conduisit doucement vers la porte.

— Gagnez les appartements qui vous ont ete prepares, ma fille.

Tomas vous conduira. Vous verrez le malade quand Hamza en aura termine.

Une subite lassitude s'etait emparee de Catherine. Elle se sentait la tete lourde. Se retrouvant dans l'escalier du donjon, elle suivit la maigre silhouette du page reapparu, sans trop savoir comment. Tomas marchait devant elle sans faire le moindre bruit, sans dire le moindre mot. Elle avait l'impression d'accompagner un fantome. Parvenu devant une porte basse, en cypres peint et sculpte, il poussa le battant, s'ecarta du passage de la jeune femme.

— Voila ! dit-il seulement.

Elle n'entra pas tout de suite, s'arreta devant le jeune garcon.

— Revenez me prevenir lorsque... tout sera fini ! demanda-t-elle avec un sourire.

Mais le regard de Tomas demeura de glace.

— Non ! dit-il durement, je ne remonterai pas chez le Maure. C'est l'antre du demon et sa medecine est sacrilege ! L'Eglise interdit de faire couler le sang !

— Votre maitre, cependant, ne s'y oppose pas !

— Mon maitre ?

Les levres pales du jeune Torquemada s'arquerent en une intraduisible expression de dedain.

— Je n'ai d'autre maitre que Dieu ! Bientot, je pourrai le servir !

Graces lui soient rendues ! J'oublierai cette demeure de Satan !

Agacee par le ton solennel et l'orgueil fanatique, assez ridicules chez un garcon aussi jeune, Catherine allait sans doute le rappeler a plus de respect envers don Alonso quand, brusquement, son regard s'evada de Tomas, alla chercher, dans la galerie, une silhouette qui s'avancait lentement, celle d'un moine en robe noire. Il etait de haute taille. La cordeliere de son vetement serrait un corps osseux et ses cheveux gris etaient tailles en couronne rase, delimitant une large tonsure. Ce moine, a premiere vue, n'avait rien d'extraordinaire, si ce n'etait peut-

etre un bandeau noir pose sur l'un de ses yeux. C'etait un moine comme les autres, mais, a mesure qu'il avancait, Catherine sentait son sang se glacer dans ses veines, tandis que, dans sa tete, les idees se mettaient a tourner a folle allure. Un cri d'angoisse s'echappa tout a coup de sa gorge et, sous les yeux stupefaits du jeune Tomas, elle se rua dans sa chambre dont elle claqua la porte derriere elle, s'y appuyant de tout son poids tandis que sa main tremblante montait a sa gorge, tentant d'arracher le col qui, maintenant, l'etouffait. Sous la tonsure et le bandeau noir du moine, elle avait vu venir vers elle, surgi de l'ombre de la galerie, le visage de Garin de Brazey...

Pendant un long moment, Catherine crut qu'elle allait devenir folle.

Tout disparut : le temps, l'heure, le lieu. Il n'y eut plus que l'image affolante qui venait de surgir devant elle, ce visage oublie, disparu depuis tant d'annees et qui, si brusquement, reapparaissait.

Les jambes fauchees, elle s'etait laissee glisser a terre contre la porte, avait pris sa tete a deux mains comme si elle voulait tenter d'apaiser la tempete qui s'y dechainait. Les images cruelles de jadis remontaient des profondeurs obscures du passe, ameres comme un flot de bile.

Elle revoyait Garin dans sa prison, enchaine, les ceps aux pieds. Elle l'entendait implorant d'elle le poison qui lui eviterait la honte de se voir traine sur la claie. Elle entendait aussi la voix d'Abou-al-Khayr murmurant tout en lui tendant le vin mortel : « Il s'endormira... et ne se reveillera pas ! » Puis elle se revoyait elle- meme, le lendemain, le nez colle a la vitre, regardant au-dehors dans la grisaille d'un matin de pluie. Les images se reformaient tres vite maintenant, precises comme des traits de burin ; la foule hargneuse, les gros chevaux d'un blanc sale atteles a la claie, les flaques d'eau grise et la silhouette athletique et rouge du bourreau portant sur son epaule le corps nu d'un homme inerte... « Il est bien mort ! » avait dit Sara. Et comment en douter, meme un instant ? Catherine croyait voir encore, devant elle, sur le dallage rouge de cette chambre etrangere, le grand pantin blanc, d'une rigidite qui ne pouvait tromper. Certes, c'etait bien le cadavre de Garin qu'elle avait vu s'eloigner, lie a la claie et cahotant sinistrement sur les paves inegaux ! Alors, l'autre... celui qui venait de lui apparaitre dans la galerie, celui qui avait le visage de Garin, le bandeau noir de Garin

? Se pouvait-il que le Grand Argentier de Bourgogne ne fut pas mort, eut, par quelque invraisemblable miracle, echappe a son destin ? Mais non, ce n'etait pas possible ! Meme si Abou- al-Khayr n'avait donne qu'une puissante drogue au lieu d'un poison, le corps du condamne n'en avait pas moins ete accroche au gibet. Mort ou vif, Garin avait ete pendu. Sara, Ermengarde, toute la ville de Dijon l'avaient vu, depouille lugubre accrochee a la potence... Ils l'avaient tous vu... sauf Catherine elle-meme. Et si grand etait son desarroi qu'elle en arrivait a douter d'elle-meme, du temoignage de ses sens. Etait-ce bien le corps de Garin qu'elle avait vu s'eloigner sur la claie ? Elle etait si troublee, ce jour-la ! Ses yeux, brouilles de larmes, n'avaient-ils pu la tromper ?

Mais alors, pourquoi donc ses amis, son entourage lui avaient-ils menti s'ils avaient remarque quelque chose de suspect ? L'illusion avait- elle ete si complete que toute une ville se fut laisse prendre ?

Et, brutalement, une pensee terrible traversa son esprit. Si Garin vivait encore, si c'etait bien lui qu'elle avait apercu tout a l'heure sous cette robe de moine, alors son mariage avec Arnaud etait nul, elle etait bigame et Michel, son petit Michel, n'etait qu'un batard !

De toutes ses forces, elle repoussa l'affreuse idee, soulevee hors d'elle-meme par une revolte de tout son etre. Elle ne voulait pas, ce n'etait pas possible ! Dieu, le destin ne pouvaient pas lui faire ca ! De Garin elle n'avait eu que souffrances, desespoir. Il lui avait donne une vie somptueuse, mais avilissante, une vie qu'elle ne voulait retrouver pour rien au monde!

— Je deviens folle ! fit-elle tout haut.

Alors, le voile menacant de la demence creva. Et, aussitot, la reaction vint, brutale. Catherine se releva. Elle voulait fuir, quitter tout de suite ce chateau ou erraient de telles ombres, retrouver la route brulee de soleil qui menait vers Arnaud. Vivant ou mort, etre humain ou fantome desincarne, elle ne laisserait pas Garin bouleverser sa vie. Il etait mort, il fallait qu'il le demeurat. Et, pour ne pas courir le risque d'etre reconnue, il fallait fuir ! Elle se retourna contre la porte, voulut l'ouvrir.

— Dama ! fit, derriere elle, une voix douce.

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