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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 18


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Serrant les dents, elle fit un dernier effort pour arriver jusqu'a l'hospice, mais, une fois la, elle se laissa tomber sur un montoir a chevaux, incapable de faire un pas de plus. Il fallut que Van Eyck et Josse Rallard, enfin conscients de son epuisement, la portassent a l'interieur, evanouie plus qu'a moitie. Il y avait longtemps que l'on n'entendait plus maugreer dame Ermengarde qu'il avait fallu hisser, comme un paquet, en travers de son cheval.

Assise sur la pierre de l'atre immense, dans la salle des pelerins, les jambes entourees d'une peau de chevre et ses mains serrant une ecuelle de soupe chaude, Catherine reprenait peu a peu des couleurs et commencait a s'interesser au mouvement qui l'environnait. Il y avait beaucoup de monde sous les voutes basses, noires de suie : pelerins revenant de Galice, leurs manteaux cousus des coquilles emblematiques et leurs yeux pleins de la fierte de ceux qui ont accompli leurs v?ux, muletiers que la nuit, avec le danger des loups et des ours, avait contraints de s'arreter au refuge, paysans navarrais en tunique noire, souvent dechiree, montrant leurs jambes et leurs pieds vernis de crasse dans les lavarcas de cuir poilu qui laissaient leurs orteils a l'air, soldats de fortune aux cuirasses cabossees. Au milieu de cette foule que la fatigue faisait silencieuse, glissaient les robes noires des moines hospitaliers, marquees a l'endroit du c?ur d'une croix rouge dont le sommet se recourbait en crosse, mais dont le pied s'effilait en epee, symbole de leur caractere a la fois religieux et militaire. Car bien souvent encore, les peres augustins de Roncevaux devaient tirer l'epee pour arracher aux bandits de la montagne leurs victimes.

Ils distribuaient a tous du pain et de la soupe, sans s'arreter plus a l'elegant ambassadeur du Grand Duc d'Occident qu'au plus miserable Navarrais. Catherine songea que leurs visages rudes avaient l'air tailles dans le granit meme de la montagne et ne ressemblaient guere aux figures rondes et bien nourries de bien des moines en pays de plaines... Assise aupres d'elle, Ermengarde ronflait, le dos appuye au pilier de la cheminee. Les autres, recrus de fatigue, mangeaient ou dormaient deja, a meme le sol. Au loin, dans la montagne, on entendait hurler les loups...

Soudain, la porte s'ouvrit, apportant une rafale de vent froid. Deux religieux, la tete abritee sous un grand chapeau noir, enfonces sur leurs camails, entrerent portant une civiere sur laquelle une forme humaine etait etendue, enroulee dans une couverture. La porte claqua derriere eux. Quelques tetes se redresserent a leur entree mais retomberent bientot : un malade ou un blesse, voire un mort, etait chose courante dans ces regions sans pitie. Les moines se frayerent un chemin vers l'atre.

— Il s'etait egare ! dit l'un d'eux au Prieur qui venait a leur rencontre. Nous l'avons trouve pres de la Breche de Roland.

— Mort ?

— Non. Mais tres faible ! Et en triste etat ! Il a du tomber sur des brigands qui l'ont depouille et malmene ! Grace a Dieu, ils lui ont laisse la vie.

Tout en parlant, ils deposaient la civiere devant la cheminee. Pour leur laisser plus de place, Catherine se serra contre Ermengarde, jetant un coup d'?il machinal au blesse tandis que les moines ecartaient les couvertures. Mais, tout a coup, elle tressaillit, se leva brusquement et se pencha sur l'homme inconscient, scrutant les traits amaigris, passa une main sur ses yeux parce qu'elle croyait a une illusion due a la fatigue. Mais le doute n'etait pas permis.

— Fortunat ! souffla-t-elle, la gorge soudain serree. Fortunat !

Mon Dieu !

Un elan, plus fort que sa fatigue, la jeta sur la civiere, vers ce revenant, premiere lueur d'espoir qui, depuis longtemps, brillait dans sa nuit. Cet homme savait ou etait Arnaud... et il allait peut-etre mourir sans le lui avoir dit !

L'un des religieux la regarda avec curiosite.

— Vous connaissez cet homme, ma s?ur ?

— Oui... oh, Seigneur ! Je ne puis encore en croire mes yeux ! Il etait l'ecuyer de mon epoux... et je le retrouve ici, seul, malade...

Qu'est-il advenu de son maitre ?

— Il vous faudra attendre un peu pour l'interroger. Nous allons d'abord lui donner un cordial, le ranimer, le rechauffer et lui donner a manger. Laissez-nous faire !

A regret, Catherine s'ecarta et reprit sa place pres de l'atre. Jean Van Eyck, qui avait suivi la scene, s'approcha d'elle et prit l'une de ses mains. Elle etait glacee... Le peintre sentit que la jeune femme tremblait.

— Avez-vous froid ?

Elle fit signe que non. D'ailleurs, ses yeux brillants, ses joues que l'excitation marquait de rouge prouvaient qu'elle ne mentait pas. Les nerfs tendus, elle ne pouvait detacher son regard de ce maigre corps immobile que les moines frictionnaient vigoureusement tandis que le Prieur approchait un petit flacon des levres blemes.

— Qu'ils fassent vite, mon Dieu ! priait Catherine interieurement.

Est-ce qu'ils ne voient pas qu'ils me font mourir ?

Mais l'energique traitement administre a Fortunat commencait a produire son effet. Un peu de sang montait a ses joues couleur de cendre, ses levres s'agitaient et, bientot, il ouvrit les yeux, les fixa clairement sur ceux qui le soignaient. Le Prieur lui sourit :

— Vous sentez-vous mieux ?

— Oui... ca va mieux ! Je reviens de loin, n'est-ce pas ?

— D'assez loin ! Les brigands vous ont attaque, je pense, et laisse pour mort ?

Fortunat fit une affreuse grimace qui s'accentua quand il essaya de se redresser.

— Ces brutes ont tape comme des sourds. J'ai cru que mes os eclataient... Oh ! je suis tout moulu !

— Cela passera vite. On va vous donner une bonne soupe et un onguent calmera vos douleurs...

Comme le Prieur se redressait, son regard croisa celui de Catherine. Elle crut y lire un signal et, incapable de maitriser plus longtemps son impatience, s'avanca. De nouveau, le Prieur se pencha vers Fortunat.

— Mon fils, il y a ici quelqu'un qui souhaite beaucoup vous parler.

— Qui donc ?

Et, tournant la tete, le Gascon la redressa legerement. Soudain, il reconnut Catherine et, du coup, se releva sur un coude tandis que son visage maigre s'empourprait.

— Vous !... C'est vous ? Ce n'est pas possible ?

Un elan jeta la jeune femme a genoux aupres de la

civiere.

— Fortunat ! Vous etes vivant, Dieu en soit loue, mais ou est messire Arnaud ?

Instinctivement, elle avait pose ses mains suppliantes sur le bras de F ecuyer, mais, d'un mouvement brutal, il les rejeta tandis qu'une expression de joie diabolique deformait le maigre visage barbu du Gascon.

— Vous avez tellement envie de le savoir ? Qu'est- ce que ca peut vous faire ?

— Ce que... cela peut me faire ? Mais...

— Que vous importe messire Arnaud ? Vous l'avez trahi, abandonne. Que faites-vous ici ? Votre nouvel epoux, le beau seigneur blond, a-t-il deja assez de vous que vous en soyez reduite a courir les routes a la recherche d'aventures ? En ce cas, c'est bien fait pour vous !

Une double exclamation de colere passa au-dessus de la tete de Catherine qui, abasourdie, contemplait sans comprendre la figure deformee par la haine que le Gascon penchait vers elle. Le Prieur et Jean Van Eyck, egalement indignes, protestaient.

— Mon fils, vous vous oubliez ! Quel est ce langage ? s'ecria l'un.

— Cet homme est devenu fou ! fit l'autre. Je vais lui rentrer ses insolences dans la gorge !

Se relevant d'un mouvement rapide, Catherine retint Jean qui, deja, tirait sa dague de sa ceinture et repoussa doucement le Prieur.

— Laissez, dit-elle fermement. Ceci me regarde seule ! Ne vous en melez pas.

Mais le regard goguenard de Fortunat s'attachait au peintre blanc de colere.

— Encore un chevalier servant, je vois ! Votre nouvel amant, dame Catherine ?

— Treve d'insolence ! fit-elle durement. Mon pere, et vous messire Van Eyck, veuillez vous ecarter. Je le repete, ceci me regarde seule !

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