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Les Voyages De Gulliver - Swift Jonathan - Страница 42


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Apres les avoir suffisamment consideres, je suivis le grand chemin, dans l’esperance qu’il me conduirait a quelque hutte d’Indiens. Ayant un peu marche, je rencontrai, au milieu du chemin, un de ces animaux qui venait directement a moi. A mon aspect, il s’arreta, fit une infinite de grimaces, et parut me regarder comme une espece d’animal qui lui etait inconnue; ensuite il s’approcha et leva sur moi sa patte de devant. Je tirai mon sabre et je frappai du plat, ne voulant pas le blesser, de peur d’offenser ceux a qui ces animaux pouvaient appartenir. L’animal, se sentant frappe, se mit a fuir et a crier si haut, qu’il attira une quarantaine d’animaux de sa sorte, qui accoururent vers moi en me faisant des grimaces horribles. Je courus vers un arbre, auquel je m’adossai, tenant mon sabre devant moi; aussitot ils sauterent aux branches de l’arbre et commencerent a me couvrir de leurs ordures; mais tout a coup ils se mirent tous a fuir.

Alors je quittai l’arbre et poursuivis mon chemin, etant assez surpris qu’une terreur soudaine leur eut ainsi fait prendre la fuite; mais, regardant, a gauche, je vis un cheval marchant gravement au milieu d’un champ; c’etait la vue de ce cheval qui avait fait decamper si vite la troupe qui m’assiegeait. Le cheval, s’etant approche de moi, s’arreta, recula, et ensuite me regarda fixement, paraissant un peu etonne; il me considera de tous cote, tournant plusieurs fois autour de moi.

Je voulus avancer, mais il se mit vis-a-vis de moi dans le chemin, me regardant d’un ?il doux, et sans me faire aucune violence. Nous nous considerames l’un l’autre pendant un peu de temps; enfin je pris la hardiesse de lui mettre la main sur le cou pour le flatter, sifflant et parlant a la facon des palefreniers lorsqu’ils veulent caresser un cheval; mais l’animal superbe, dedaignant mon honnetete et ma politesse, fronca ses sourcils et leva fierement un de ses pieds de devant pour m’obliger a retirer ma main trop familiere. En meme temps il se mit a hennir trois ou quatre fois, mais avec des accents si varies, que je commencai a croire qu’il parlait un langage qui lui etait propre, et qu’il y avait une espece de sens attache a ses divers hennissements.

Sur ces entrefaites arriva un autre cheval, qui salua le premier tres poliment; l’un et l’autre se firent des honnetetes reciproques, et se mirent a hennir de cent facons differentes, qui semblaient former des sons articules; ils firent ensuite quelques pas ensemble, comme s’ils eussent voulu conferer sur quelque chose; ils allaient et venaient en marchant gravement cote a cote, semblables a des personnes qui tiennent conseil sur des affaires importantes; mais ils avaient toujours l’?il sur moi, comme s’ils eussent pris garde que je ne m’enfuisse.

Surpris de voir des betes se comporter ainsi, je me dis a moi-meme: «Puisque en ce pays-ci les betes ont tant de raison, il faut que les hommes y soient raisonnables au supreme degre.».

Cette reflexion me donna tant de courage, que je resolus d’avancer dans le pays jusqu’a ce que j’eusse rencontre quelque habitant, et de laisser la les deux chevaux discourir ensemble tant qu’il leur plairait; mais l’un des deux, qui etait gris pommele, voyant que je m’en allais, se mit a hennir d’une facon si expressive, que je crus entendre ce qu’il voulait: je me retournai et m’approchai de lui, dissimulant mon embarras et mon trouble autant qu’il m’etait possible, car, dans le fond, je ne savais ce que cela deviendrait, et c’est ce que le lecteur peut aisement s’imaginer.

Les deux chevaux me serrerent de pres et se mirent a considerer mon visage et mes mains. Mon chapeau paraissait les surprendre, aussi bien que les pans de mon justaucorps. Le gris-pommele se mit a flatter ma main droite, paraissant charme et de la douceur et de la couleur de ma peau; mais il la serra si fort entre son sabot et son paturon, que je ne pus m’empecher de crier de toute ma force, ce qui m’attira mille autres caresses pleines d’amitie. Mes souliers et mes bas leur donnaient de grandes inquietudes; ils les flairerent et les taterent plusieurs fois, et firent a ce sujet plusieurs gestes semblables a ceux d’un philosophe qui veut entreprendre d’expliquer un phenomene.

Enfin, la contenance et les manieres de ces deux animaux me parurent si raisonnables, si sages, si judicieuses, que je conclus en moi-meme qu’il fallait que ce fussent des enchanteurs qui s’etaient ainsi transformes en chevaux avec quelque dessein, et qui, trouvant un etranger sur leur chemin, avaient voulu se divertir un peu a ses depens, ou avaient peut-etre ete frappes de sa figure, de ses habits et de ses manieres. C’est ce qui me fit prendre la liberte de leur parler en ces termes:

«Messieurs les chevaux, si vous etes des enchanteurs, comme j’ai lieu de le croire, vous entendez toutes les langues; ainsi, j’ai l’honneur de vous dire en la mienne que je suis un pauvre Anglais qui, par malheur, ai echoue sur ces cotes, et qui vous prie l’un ou l’autre, si pourtant vous etes de vrais chevaux, de vouloir; souffrir que je monte sur vous pour chercher quelque village ou quelque maison ou je me puisse retirer. En reconnaissance, je vous offre ce petit couteau et ce bracelet.»

Les deux animaux parurent ecouter mon discours avec attention, et quand j’eus fini ils se mirent a hennir tour a tour, tournes l’un vers l’autre. Je compris alors clairement que leurs hennissements etaient significatifs, et renfermaient des mots dont on pourrait peut-etre dresser un alphabet aussi aise que celui des Chinois.

Je les entendis souvent repeter le mot yahou, dont je distinguai le son sans en distinguer le sens, quoique, tandis que les deux chevaux s’entretenaient, j’eusse essaye plusieurs fois d’en chercher la signification. Lorsqu’ils eurent cesse de parler, je me mis a crier de toute ma force: Yahou! yahou! tachant de les imiter. Cela parut les surprendre extremement, et alors le gris-pommele, repetant deux fois le meme mot, sembla vouloir m’apprendre comment il le fallait prononcer. Je repetai apres lui le mieux qu’il me fut possible, et il me parut que, quoique je fusse tres eloigne de la perfection de l’accent et de la prononciation, j’avais pourtant fait quelques progres. L’autre cheval, qui etait bai, sembla vouloir m’apprendre un autre mot beaucoup plus difficile a prononcer, et qui, etant reduit a l’orthographe anglaise, peut ainsi s’ecrire: houyhnhnm. Je ne reussis pas si bien d’abord dans la prononciation de ce mot que dans celle du premier; mais, apres, quelques essais, cela alla mieux, et les deux chevaux me trouverent de l’intelligence.

Lorsqu’ils se furent encore un peu entretenus (sans doute a mon sujet), ils prirent conge l’un de l’autre avec la meme ceremonie qu’ils s’etaient abordes. Le bai me fit signe de marcher devant lui, ce que je jugeai a propos de faire, jusqu’a ce que j’eusse trouve un autre conducteur. Comme je marchais fort lentement, il se mit a hennir: hhuum, hhumn. Je compris sa pensee, et lui donnai a entendre, comme je le pus, que j’etais bien las et avais de la peine a marcher; sur quoi il s’arreta charitablement pour me laisser reposer.

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