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Les Voyages De Gulliver - Swift Jonathan - Страница 10


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On est persuade que tant s’en faut que le defaut des vertus morales soit supplee par les talents superieurs de l’esprit, que les emplois ne pourraient etre confies a de plus dangereuses mains qu’a celles des grands esprits qui n’ont aucune vertu, et que les erreurs nees de l’ignorance, dans un ministre honnete homme, n’auraient jamais de si funestes suites, a l’egard du bien public, que les pratiques tenebreuses d’un ministre dont les inclinations seraient corrompues, dont les vues seraient criminelles, et qui trouverait dans les ressources de son esprit de quoi faire le mal impunement.

Qui ne croit pas a la Providence divine parmi les Lilliputiens est declare incapable de posseder aucun emploi public. Comme les rois se pretendent, a juste titre, les deputes de la Providence, les Lilliputiens jugent qu’il n’y a rien de plus absurde et de plus inconsequent que la conduite d’un prince qui se sert de gens sans religion, qui nient cette autorite supreme dont il se dit le depositaire, et dont, en effet, il emprunte la sienne.

En rapportant ces lois et les suivantes, je ne parle que des lois primitives des Lilliputiens.

Je sais que, par des lois modernes, ces peuples sont tombes dans un grand exces de corruption: temoin cet usage honteux d’obtenir les grandes charges en dansant sur la corde, et les marques de distinction en sautant par-dessus un baton. Le lecteur doit observer que cet indigne usage fut introduit par le pere de l’empereur regnant.

L’ingratitude est, parmi ces peuples, un crime enorme, comme nous apprenons dans l’histoire qu’il l’a ete autrefois aux yeux de quelques nations vertueuses. Celui, disent les Lilliputiens, qui rend de mauvais offices a son bienfaiteur meme doit etre necessairement l’ennemi de tous les autres hommes.

Les Lilliputiens jugent que le pere et la mere ne doivent point etre charges de l’education de leurs propres enfants, et il y a, dans chaque ville, des seminaires publics, ou tous les peres et les meres excepte les paysans et les ouvriers, sont obliges d’envoyer leurs enfants de l’un et l’autre sexe, pour etre eleves et formes. Quand ils sont parvenus a l’age de vingt lunes, on les suppose dociles et capables d’apprendre. Les ecoles sont de differentes especes, suivant la difference du rang et du sexe. Des maitres habiles forment les enfants pour un etat de vie conforme a leur naissance, a leurs propres talents et a leurs inclinations.

Les seminaires pour les jeunes gens d’une naissance illustre sont pourvus de maitres serieux et savants. L’habillement et la nourriture des enfants sont simples. On leur inspire des principes d’honneur, de justice, de courage, de modestie, de clemence, de religion et d’amour pour la patrie; ils sont habilles par des hommes jusqu’a l’age de quatre ans, et, apres cet age, ils sont obliges de s’habiller eux-memes, de quelque grande naissance qu’ils soient. Il ne leur est permis de prendre leurs divertissements qu’en presence d’un maitre. On permet a leurs pere et mere de les voir deux fois par an. La visite ne peut durer qu’une heure, avec la liberte d’embrasser leurs fils en entrant et en sortant; mais un maitre, qui est toujours present en ces occasions, ne leur permet pas de parler secretement a leur fils, de le flatter, de le caresser, ni de lui donner des bijoux ou des dragees et des confitures.

Dans les seminaires feminins, les jeunes filles de qualite sont elevees presque comme les garcons. Seulement, elles sont habillees par des domestiques en presence d’une maitresse, jusqu’a ce qu’elles aient atteint l’age de cinq ans, qu’elles s’habillent elles-memes. Lorsque l’on decouvre que les nourrices ou les femmes de chambre entretiennent ces petites filles d’histoires extravagantes, de contes insipides ou capables de leur faire peur (ce qui est, en Angleterre, fort ordinaire aux gouvernantes), elles sont fouettees publiquement trois fois par toute la ville, emprisonnees pendant un an, et exilees le reste de leur vie dans l’endroit le plus desert du pays. Ainsi, les jeunes filles, parmi ces peuples, sont aussi honteuses que les hommes d’etre laches et sottes; elles meprisent tous les ornements exterieurs, et n’ont egard qu’a la bienseance et a la proprete. Leurs exercices ne sont pas si violents que ceux des garcons, et on les fait un peu moins etudier; car on leur apprend aussi les sciences et les belles-lettres. C’est une maxime parmi eux qu’une femme devant etre pour son mari une compagnie toujours agreable, elle doit s’orner l’esprit, qui ne vieillit point.

Les Lilliputiens sont persuades, autrement que nous ne le sommes en Europe, que rien ne demande plus de soin et d’application que l’education des enfants. Ils disent qu’il en est de cela comme de conserver certaines plantes, de les faire croitre heureusement, de les defendre contre les rigueurs de l’hiver, contre les ardeurs et les orages de l’ete, contre les attaques des insectes, de leur faire enfin porter des fruits en abondance, ce qui est l’effet de l’attention et des peines d’un jardinier habile.

Ils prennent garde que le maitre ait plutot un esprit bien fait qu’un esprit sublime, plutot des m?urs que de la science; ils ne peuvent souffrir ces maitres qui etourdissent sans cesse les oreilles de leurs disciples de combinaisons grammaticales, de discussions frivoles, de remarques pueriles, et qui, pour leur apprendre l’ancienne langue de leur pays, qui n’a que peu de rapport a celle qu’on y parle aujourd’hui, accablent leur esprit de regles et d’exceptions, et laissent la l’usage et l’exercice, pour farcir leur memoire de principes superflus et de preceptes epineux: ils veulent que le maitre se familiarise avec dignite, rien n’etant plus contraire a la bonne education que le pedantisme et le serieux affecte; il doit, selon eux, plutot s’abaisser que s’elever devant son disciple, et ils jugent l’un plus difficile que l’autre, parce qu’il faut souvent plus d’effort et de vigueur, et toujours plus d’attention pour descendre surement que pour monter.

Ils pretendent que les maitres doivent bien plus s’appliquer a former l’esprit des jeunes gens pour la conduite de la vie qu’a l’enrichir de connaissances curieuses, presque toujours inutiles. On leur apprend donc de bonne heure a etre sages et philosophes, afin que, dans la saison meme des plaisirs, ils sachent les gouter philosophiquement. N’est-il pas ridicule, disent-ils, de n’en connaitre la nature et le vrai usage que lorsqu’on y est devenu inhabile, d’apprendre a vivre quand la vie est presque passee, et de commencer a etre homme lorsqu’on va cesser de l’etre?

On leur propose des recompenses pour l’aveu ingenu et sincere de leurs fautes, et ceux qui savent mieux raisonner sur leurs propres defauts obtiennent des graces et des honneurs. On veut qu’ils soient curieux et qu’ils fassent souvent des questions sur tout ce qu’ils voient et sur tout ce qu’ils entendent, et l’on punit tres severement ceux qui, a la vue d’une chose extraordinaire et remarquable, temoignent peu d’etonnement et de curiosite.

On leur recommande d’etre tres fideles, tres soumis, tres attaches au prince, mais d’un attachement general et de devoir, et non d’aucun attachement particulier, qui blesse souvent la conscience et toujours la liberte, et qui expose a de grands malheurs.

Les maitres d’histoire se mettent moins en peine d’apprendre a leurs eleves la date de tel ou tel evenement, que de leur peindre le caractere, les bonnes et les mauvaises qualites des rois, des generaux d’armee et des ministres; ils croient qu’il leur importe assez peu de savoir qu’en telle annee et en tel mois telle bataille a ete donnee; mais qu’il leur importe de considerer combien les hommes, dans tous les siecles, sont barbares, brutaux, injustes, sanguinaires, toujours prets a prodiguer leur propre vie sans necessite et a attenter sur celle des autres sans raison; combien les combats deshonorent l’humanite et combien les motifs doivent etre puissants pour en venir a cette extremite funeste; ils regardent l’histoire de l’esprit humain comme la meilleure de toutes, et ils apprennent moins aux jeunes gens a retenir les faits qu’a en juger.

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