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Contes Merveilleux Tome II - Grimm Jakob et Wilhelm - Страница 15


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– Mais, repondit le pecheur, voila quinze jours a peine que cet excellent prince nous a fait cadeau d’une si jolie chaumiere, comme nous n’aurions jamais ose en rever une pareille. Et tu veux que j’aille l’importuner de nouveau! Il m’enverra promener, et il aura raison.

– Du tout, dit la femme; je le sais mieux que toi, il ne demande pas mieux que de nous faire plaisir. Va le trouver, comme je te le dis.

Le brave homme s’en fut sur la plage; la mer etait bleu fonce, presque violette, mais calme. Le pecheur s’ecria:

– Cabillaud, mon cher cabillaud! ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut absolument quelque chose.

– Que lui faut-il donc? repondit le poisson, qui apparut sur-le-champ, la tete hors de l’eau.

– Imagine-toi, repondit Pierre tout confus, que la belle chaumiere ne lui convient plus, et qu’elle desire un palais en pierres de taille!

– Retourne chez toi, dit le cabillaud, son souhait est deja accompli.

En effet, le pecheur trouva sa femme se promenant dans la vaste cour d’un splendide chateau.

– Oh! ce gentil cabillaud, dit-elle; regarde donc comme tout est magnifique!

Ils entrerent a travers un vestibule en marbre; une foule de domestiques galonnes d’or leur ouvrirent les portes des riches appartements, garnis de meubles dores et recouverts des plus precieuses etoffes. Derriere le chateau s’etendait un immense jardin ou poussaient les fleurs les plus rares puis, venait un grandissime parc, ou folatraient des cerfs, des daims et toute espece d’oiseaux; sur le cote se trouvaient de vastes ecuries, avec des chevaux de luxe et une etable, qui contenait une quantite de belles vaches.

– Quel sort digne d’envie, que le notre, dit le brave pecheur, ecarquillant les yeux a l’aspect de ces merveilles; j’espere que tes v?ux les plus temeraires sont satisfaits.

– C’est ce que je me demande, repondit la femme; mais j’y reflechirai mieux demain.

Puis, apres avoir goute des mets delicieux qui leur furent servis pour le souper, ils allerent se coucher.

Le lendemain matin, qu’il faisait a peine jour, la femme, eveillant son mari, en le poussant du coude, lui dit:

– Maintenant que nous avons ce palais, il faut que nous soyons maitres et seigneurs de tout le pays a l’entour.

– Comment, repondit Pierre, tu voudrais porter une couronne? quant a moi, je ne veux pas etre roi.

– Eh bien, moi je tiens a etre reine. Allons, habille-toi, et cours faire savoir mon desir a ce cher cabillaud.

Le pecheur haussa les epaules, mais il n’en obeit pas moins. Arrive sur la plage, il vit la mer couleur gris sombre, et assez houleuse; il se mit a crier:

– Cabillaud, cher cabillaud! Ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut absolument quelque chose.

– Que lui faut-il donc? dit le poisson qui se presenta aussitot, la tete hors de l’eau.

– Ne s’est-elle pas mise en tete de devenir reine!

– Rentre chez toi, la chose est deja faite, dit la bete.

Et, en effet, Pierre trouva sa femme installee sur un trone en or, orne de gros diamants, une magnifique couronne sur la tete, entouree de demoiselles d’honneur, richement habillees de brocard, et l’une plus belle que l’autre; a la porte du palais, qui etait encore bien plus splendide que le chateau de la veille, se tenaient des gardes en uniformes brillants une musique militaire jouait une joyeuse fanfare; une nuee de laquais galonnes etait repandue dans les vastes cours, ou etaient ranges de magnifiques equipages.

– Eh bien, dit le pecheur, j’espere que te voila au comble de tes v?ux; naguere pauvre entre les plus pauvres, te voila une puissante reine.

– Oui, repondit la femme, c’est un sort assez agreable, mais il y a mieux, et je ne comprends pas comment je n’y ai pas pense; je veux etre imperatrice, ou plutot empereur; oui, je veux etre empereur!

– Mais, ma femme, tu perds le sens; non, je n’irai pas demander une chose aussi folle a ce bon cabillaud; il finira par m’envoyer promener, et il aura raison.

– Pas d’observations, repliqua-t-elle; je suis la reine et tu n’es que le premier de mes sujets. Donc, obeis sur-le-champ.

Pierre s’en fut vers la mer, pensant qu’il faisait une course inutile. Arrive sur la plage, il vit la mer noire, presque comme de l’encre; le vent soufflait avec violence et soulevait d’enormes vagues.

– Cabillaud, cher cabillaud, s’ecria-t-il, ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut encore quelque chose.

– Qu’est-ce encore? dit le poisson qui se montra aussitot.

– Les grandeurs lui tournent la tete, elle souhaite d’etre empereur.

– Retourne chez toi, repondit le poisson; la chose est faite.

Lorsque Pierre revint chez lui, il apercut un immense palais, tout construit en marbre precieux; le toit en etait de lames d’or. Apres avoir passe par une vaste cour, remplie de belles statues et de fontaines qui lancaient les plus delicieux parfums, il traversa une haie formee de gardes d’honneur, tous geants de plus de six pieds; et, apres avoir passe par une enfilade d’appartements decores avec une richesse extreme, il atteignit une vaste salle ou sur un trone d’or massif, haut de deux metres, se tenait sa femme, revetue d’une robe splendide, toute couverte de gros diamants et de rubis, et portant une couronne qui a elle seule valait plus que bien des royaumes; elle etait entouree d’une cour composee rien que de princes et de ducs; les simples comtes etaient relegues dans l’antichambre.

Isabelle paraissait tout a fait a son aise au milieu de ces splendeurs.

– Eh bien, lui dit Pierre, j’espere que te voila au comble de tes v?ux; il n’y a jamais eu de sort comparable au tien.

– Nous verrons cela demain, repondit-elle.

Apres un festin magnifique, elle alla se coucher; mais elle ne put dormir; elle etait tourmentee a l’idee qu’il y avait peut-etre quelque chose de plus desirable encore que d’etre empereur. Le matin, lorsqu’elle se leva, elle vit que le ciel etait brumeux.

«Tiens, se dit-elle, je voudrais bien voir le soleil; les nuages sombres m’attristent. Oui, mais, pour faire lever le soleil, il faudrait etre le bon Dieu. C’est cela, je veux etre aussi puissante que le bon Dieu.»

Toute ravie de son idee, elle s’ecria:

– Pierre, habille-toi sur-le-champ, et va dire a ce brave cabillaud que je desire avoir la toute-puissance sur l’univers, comme le bon Dieu; il ne peut pas te refuser cela.

Le brave pecheur fut tellement saisi d’effroi, en entendant ces paroles impies, qu’il dut se tenir a un meuble pour ne pas tomber a la renverse.

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