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Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian - Страница 38


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La tirelire

Il y avait une quantite de jouets dans la chambre d'enfants. Tout en haut de l'armoire tronait la tirelire sous la forme d'un cochon en terre cuite; il avait naturellement une fente dans le dos, et cette fente avait ete elargie a l'aide d'un couteau pour pouvoir y glisser aussi de grosses pieces. On en avait deja glisse deux dedans, en plus de nombreuses menues monnaies.

Le cochon etait si bourre que l'argent ne pouvait plus tinter dans son ventre et c'est bien le maximum de ce que peut esperer un cochon-tirelire. Il se tenait tout en haut de l'armoire et regardait les jouets en bas, dans la chambre; il savait bien qu'avec ce qu'il avait dans le ventre il aurait pu les acheter tous et cela lui donnait quelque orgueil.

Les autres le savaient aussi meme s'ils n'en parlaient pas, ils avaient d'autres sujets de conversation. Le tiroir de la commode etait entrouvert et une poupee un peu vieille et le cou raccommode regardait au-dehors. Elle dit:

– Je propose de jouer aux grandes personnes, ce sera une occupation!

Alors, il y eut tout un remue-menage, les tableaux eux-memes se retournerent contre le mur ils savaient pourtant qu'ils avaient un envers-mais ce n'etait pas pour protester.

On etait au milieu de la nuit; la lune, dont les rayons entraient par la fenetre, offrait un eclairage gratuit. Le jeu allait commencer et tous etaient invites, meme la voiture de poupee bien qu'elle appartint aux jouets dits vulgaires.

Chacun est utile a sa maniere, disait-elle; tout le monde ne peut pas appartenir a la noblesse, il faut bien qu'il y en ait qui travaillent.

Le cochon-tirelire seul recut une invitation ecrite. On craignait que, place si haut, il ne put entendre une invitation orale. Il se jugea trop important pour donner une reponse et ne vint pas. S'il voulait prendre part au jeu, ce serait de la-haut, chez lui; les autres s'arrangeraient en consequence. C'est ce qu'ils firent.

Le petit theatre de marionnettes fut monte de sorte qu'il put le voir juste de face. Il devait y avoir d'abord une comedie, puis le the, ensuite des exercices intellectuels. Mais c'est par ceux-ci qu'on commenca tout de suite.

Le cheval a bascule parla d'entrainement et de pur-sang, la voiture de poupee de chemins de fer et de traction a vapeur: cela se rapportait toujours a leur specialite. La pendule parla politique-tic, tac-elle savait quelle heure elle avait sonne, mais les mauvaises langues disaient qu'elle ne marchait pas bien.

La canne se tenait droite, fiere de son pied ferre et de son pommeau d'argent; sur le sofa s'etalaient deux coussins brodes, ravissants mais stupides. La comedie pouvait commencer.

Tous etaient assis et regardaient. On les pria d'applaudir, de claquer ou de gronder suivant qu'ils seraient satisfaits ou non. La cravache declara qu'elle ne claquait jamais pour les vieux, mais seulement pour les jeunes non encore fiances.

– Moi, j'eclate pour tout le monde, dit le petard.

– Etre la ou ailleurs… declarait le crachoir. Et c'etait bien l'opinion de tous sur cette idee de jouer la comedie.

La piece ne valait rien, mais elle etait bien jouee. Les acteurs presentaient toujours au public leur cote peint, ils etaient faits pour etre vue de face, pas de dos. Tous jouaient admirablement, tout a fait en avant et meme hors du theatre, car leurs fils etaient trop longs, mais ils n'en etaient que plus remarquables.

La poupee raccommodee etait si emue qu'elle se decolla et le cochon-tirelire, bouleverse a sa facon, decida de faire quelque chose pour l'un des acteurs, par exemple: le mettre sur son testament pour qu'il soit couche pres de lui dans un monument funeraire quand le moment serait venu.

Tous etaient enchantes, de sorte qu'on renonca au the et on s'en tint a l'intellectualite. On appelait cela jouer aux grandes personnes et c'etait sans mechancete puisque ce n'etait qu'un jeu. Chacun ne pensait qu'a soi-meme et aussi a ce que pensait le cochon-tirelire et lui pensait plus loin que les autres: a son testament et a son enterrement. Quand en viendrait l'heure? Toujours plus tot qu'on ne s'y attend…

Patatras! Le voila tombe de l'armoire. Le voila gisant par terre en mille morceaux; les pieces dansent et sautent a travers la piece, les plus petites ronflent, les plus grandes roulent, surtout le daler d'argent qui avait tant envie de voir le monde. Il y alla, bien sur; toutes les pieces y allerent, mais les restes du cochon allerent dans la poubelle.

Le lendemain, sur l'armoire, se tenait un nouveau cochon-tirelire en terre vernie.

Il ne contenait encore pas la moindre monnaie, et rien ne tintait en lui. En cela, il ressemblait a son predecesseur. Il n'etait qu'un commencement et, pour nous, ce sera la fin du conte.

La vieille maison

Au beau milieu de la rue se trouvait une antique maison, elle avait plus de trois cents ans: c'est la ce qu'on pouvait lire sur la grande poutre, ou au milieu de tulipes et de guirlandes de houblon etait gravee l'annee de la construction. Et on y lisait encore des versets tires de la Bible et des bons auteurs profanes; au-dessus de chaque fenetre etaient sculptees des figures qui faisaient toute espece de grimaces. Chacun des etages avancait sur celui d'en dessous; le long du toit courait une gouttiere, ornee de gros dragons, dont la gueule devait cracher l'eau des pluies; mais elle sortait aujourd'hui par le ventre de la bete; par suite des ans, il s'etait fait des trous dans la gouttiere.

Toutes les autres maisons de la rue etaient neuves et belles a la mode regnante; les carreaux de vitre etaient grands et toujours bien propres; les murailles etaient lisses comme du marbre poli. Ces maisons se tenaient bien droites sur leurs fondations, et l'on voyait bien a leur air qu'elles n'entendaient rien avoir de commun avec cette construction des siecles barbares.

«N'est-il pas temps, se disaient-elles, qu'on demolisse cette batisse surannee, dont l'aspect doit scandaliser tous les amateurs du beau? Voyez donc toutes ces moulures qui s'avancent et qui empechent que de nos fenetres on distingue ce qui se passe dans la baraque. Et l'escalier donc qui est aussi large que si c'etait un chateau! que d'espace perdu! Et cette rampe en fer forge, est-elle assez pretentieuse! Comme ceux qui s y appuient doivent avoir froid aux mains! Comme tout cela est sottement imagine!»

Dans une des maisons neuves, bien propres, d'un gout bien prosaique, celle qui etait juste en face, se tenait souvent a la fenetre un petit garcon aux joues fraiches et roses; ses yeux vifs brillaient d'intelligence. Lui, il aimait a contempler la vieille maison; elle lui plaisait beaucoup, qu'elle fut eclairee par le soleil ou par la lune. Il pouvait rester des heures a la considerer, et alors il se representait les temps ou, comme il l'avait vu sur une vieille gravure, toutes les maisons de la rue etaient construites dans ce meme style, avec des fenetres en ogive, des toits pointus, un grand escalier menant a la porte d'entree, des dragons et autres terribles gargouilles tout autour des gouttieres; et, au milieu de la rue, passaient des archers, des soldats en cuirasse, armes de hallebardes.

C'etait vraiment une maison qu'on pouvait contempler pendant des heures. Il y demeurait un vieillard qui portait des culottes de peau et un habit a grands boutons de metal, tout a fait a l'ancienne mode; il avait aussi une perruque, mais une perruque qui paraissait bien etre une perruque, et qui ne servait pas a simuler habilement de vrais cheveux. Tous les matins, un vieux domestique venait, nettoyait, faisait le menage et les commissions, puis s'en allait.

Le vieillard a culottes de peau habitait tout seul la vieille maison. Parfois il s'approchait de la fenetre; un jour, le petit garcon lui fit un gentil signe de tete en forme de salut; le vieillard fit de meme; le lendemain ils se dirent de nouveau bonjour, et bientot ils furent une paire d'amis, sans avoir jamais echange une parole.

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