Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian - Страница 42
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– Mais c'est de moi-meme que le jardinier tient la graine de ces melons! dit joyeusement le jardinier.
– Il faut donc, repartit le seigneur, que cet homme ait su les perfectionner singulierement par sa culture, car je n'en ai jamais mange de si savoureux. L'eau m'en vient a la bouche en y songeant.
– He bien, dit le jardinier, voila de quoi me rendre fier. Il faut donc que Votre Seigneurie sache que le jardinier du roi n'a pas ete heureux cette annee avec ses melons. Ces jours derniers il est venu me voir; il a vu combien les miens avaient bonne mine, et apres en avoir goute, il m'a prie de lui en envoyer trois pour la table de Sa Majeste.
– Non, non, mon brave Larsen, ne vous imaginez pas que ces divins fruits que nous avons manges hier proviennent de votre jardin.
– J'en suis parfaitement certain, repondit Larsen, et je vous en fournirai la preuve.» Il alla trouver le jardinier du roi et se fit donner par lui un certificat d'ou il resultait que les melons qui avaient figure au diner de la cour avaient bien reellement pousse dans les serres de ses maitres. Les maitres ne pouvaient revenir de leur surprise. Ils ne firent pas un mystere de l'evenement. Bien loin de la, ils montrerent ce papier a qui le voulut voir. Ce fut a qui leur demanderait alors des pepins de leurs melons et des greffes de leurs arbres fruitiers. Les greffes reussirent de tous cotes. Les fruits qui en naquirent recurent partout le nom des proprietaires du chateau, de sorte que ce nom se repandit en Angleterre, en Allemagne et en France. Qui se serait attendu a rien de pareil?» Pourvu que notre jardinier n'aille pas concevoir une trop haute opinion de lui-meme!» se disaient les maitres. Leur apprehension etait mal fondee. Au lieu de s'enorgueillir et de se reposer sur sa renommee, Larsen n'en eut que plus d'activite et de zele. Chaque annee il s'attacha a produire quelque nouveau chef-d'oeuvre. Il y reussit presque toujours. Mais il ne lui en fallut pas moins entendre souvent dire que les pommes et les poires de la fameuse annee etaient les meilleurs fruits qu'il eut obtenus. Les melons continuaient sans doute a bien venir, mais ils n'avaient plus tout a fait le meme parfum. Les fraises etaient excellentes, il est vrai, mais pas meilleures que celles du comte Z. Et lorsqu'une annee les petits radis manquerent, il ne fut plus question que de ces detestables petits radis. Des autres legumes, qui etaient parfaits, pas un mot. On aurait dit que les maitres eprouvaient un veritable soulagement a pouvoir s'ecrier: «Quels atroces petits radis! Vraiment, cette annee est bien mauvaise: rien ne vient bien cette annee!» Deux ou trois fois par semaine, le jardinier apportait des fleurs pour orner le salon. Il avait un art particulier pour faire les bouquets; il disposait les couleurs de telle sorte qu'elles se faisaient valoir l'une l'autre et il obtenait ainsi des effets ravissants.» Vous avez bon gout, cher Larsen, disaient les maitres. Vraiment oui. Mais n'oubliez pas que c'est un don de Dieu. On le recoit en naissant; par soi-meme on n'en a aucun merite.» Un jour le jardinier arriva au salon avec un grand vase ou parmi des feuilles d'iris s'etalait une grande fleur d'un bleu eclatant.» C'est superbe! s'ecria Sa Seigneurie enchantee: on dirait le fameux lotus indien!» Pendant la journee, les maitres la placaient au soleil ou elle resplendissait; le soir on dirigeait sur elle la lumiere au moyen d'un reflecteur. On la montrait a tout le monde; tout le monde l'admirait. On declarait qu'on n'avait jamais vu une fleur pareille, qu'elle devait etre des plus rares. Ce fut l'avis notamment de la plus noble jeune fille du pays, qui vint en visite au chateau: elle etait princesse, fille du roi; elle avait, en outre, de l'esprit et du coeur, mais, dans sa position, ce n'est la qu'un detail oiseux. Les seigneurs tinrent a honneur de lui offrir la magnifique fleur, ils la lui envoyerent au palais royal. Puis il allerent au jardin en chercher une autre pour le salon. Ils le parcoururent vainement jusque dans les moindres recoins; ils n'en trouverent aucune autre, non plus que dans la serre. Ils appelerent le jardinier et lui demanderent ou il avait pris la fleur bleue: «Si vous n'en avez pas trouve, dit Larsen, c'est que vous n'avez pas cherche dans le potager. Ah! ce n'est pas une fleur a grande pretention, mais elle est belle tout de meme: c'est tout simplement une fleur d'artichaut!
– Grand Dieu! Une fleur d'artichaut! s'ecrierent Leurs Seigneuries. Mais, malheureux, vous auriez du nous dire cela tout d'abord. Que va penser la princesse? Que nous nous sommes moques d'elle. Nous voila compromis a la cour. La princesse a vu la fleur dans notre salon, elle l'a prise pour une fleur rare et exotique; elle est pourtant instruite en botanique, mais la science ne s'occupe pas des legumes. Quelle idee avez-vous eue, Larsen, d'introduire dans nos appartements une fleur de rien! Vous nous avez rendus impertinents ou ridicules.» On se garda bien de remettre au salon une de ces fleurs potageres. Les maitres se firent a la hate excuser aupres de la princesse, rejetant la faute sur leur jardinier qui avait eu cette bizarre fantaisie, et qui avait recu une verte remontrance.» C'est un tort et une injustice, dit la princesse. Comment! il a attire nos regards sur une magnifique fleur que nous ne savions pas apprecier; il nous a fait decouvrir la beaute ou nous ne nous avisions pas de la chercher; et on l'en blamerait! Tous les jours, aussi longtemps que les artichauts seront fleuris, je le prie de m'apporter au palais une de ces fleurs.» Ainsi fut-il fait. Les maitres de Larsen s'empresserent, de leur cote, de reinstaller la fleur bleue dans leur salon, et de la mettre bien en evidence, comme la premiere fois.» Oui, elle est magnifique, dirent-ils; on ne peut le nier. C'est curieux, une fleur d'artichaut!» Le jardinier fut complimente.» Oh! les compliments, les eloges, voila ce qu'il aime! disaient les maitres; il est comme un enfant gate.» Un jour d'automne s'eleva une tempete epouvantable; elle ne fit qu'aller en augmentant toute la nuit. Sur la lisiere du bois, une rangee de grands arbres furent arraches avec leurs racines. Les deux arbres couverts de nids d'oiseaux furent aussi renverses. On entendit jusqu'au matin les cris percants, les piaillements aigus des corneilles effarees, dont les ailes venaient frapper les fenetres.»Vous voila satisfait, Larsen, dirent les maitres, voila ces pauvres vieux arbres par terre. Maintenant il ne reste plus ici de trace des anciens temps, tout est detruit, comme vous le desiriez. Ma foi, cela nous a fait de la peine.» Le jardinier ne repondit rien: il reflechit aussitot a ce qu'il ferait de ce nouvel emplacement, bien situe au soleil. En tombant, les deux arbres avaient abime les buis tailles en pyramides, ils furent enleves. Larsen les remplaca par des arbustes et des plantes pris dans les bois et dans les champs de la contree. Jamais jardinier n'avait encore eu cette idee. Il reunit la le genevrier de la bruyere du Jutland, qui ressemble tant au cypres d'Italie, le houx toujours vert, les plus belles fougeres semblables aux palmiers, de grands bouillons blancs qu'on prendrait pour des candelabres d'eglise. Le sol etait couvert de jolies fleurs des pres et des bois. Cela formait un charmant coup d'oeil. A la place des vieux arbres fut plante un grand mat au haut duquel flottait l'etendard du Danebrog, et tout autour se dressaient des perches ou, en ete, grimpait le houblon. En hiver, a Noel, selon un antique usage, une gerbe d'avoine fut suspendue a une perche, pour que les oiseaux prissent part a la fete: «Il devient sentimental sur ses vieux jours, ce bon Larsen, disaient les maitres; mais ce n'en est pas moins un serviteur fidele et devoue.» Vers le nouvel an, une des feuilles illustrees de la capitale publia une gravure du vieux chateau. On y voyait le mat avec le Danebrog, et la gerbe d'avoine au bout d'une perche. Et dans le texte, on faisait ressortir ce qu'avait de touchant cette ancienne coutume de faire participer les oiseaux du bon Dieu a la joie generale des fetes de Noel: on felicitait ceux qui l'avaient remise en pratique.» Vraiment, tout ce que fait ce Larsen, on le tambourine aussitot, dirent les maitres. Il a de la chance. Nous devons presque etre fiers qu'il veuille bien rester a notre service.» Ce n'etait la qu'une facon de parler. Ils n'en etaient pas fiers du tout, et n'oubliaient pas qu'ils etaient les maitres et qu'ils pouvaient, s'il leur plaisait, renvoyer leur jardinier, ce qui eut ete sa mort, tant il aimait son jardin. Aussi ne le firent-ils pas. C'etaient de bons maitres. Mais ce genre de bonte n'est pas fort rare et c'est heureux pour les gens comme Larsen.
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