Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen (illustre) - Burger Gottfried August - Страница 9
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Je n’ai pas besoin de vous dire, messieurs, combien je suis peine de l’impudence de ce coquin. Dans le siecle de scepticisme ou nous vivons, les gens qui ne me connaissent point pourraient etre amenes, par suite de ces grossiers mensonges, a revoquer en doute la verite de mes aventures reelles, chose qui lese gravement un homme d’honneur.
CHAPITRE VII Deuxieme aventure de mer.
En l’annee 1776, je m’embarquai a Portsmouth pour l’Amerique du Nord, sur un vaisseau de guerre anglais de premier rang, portant cent canons et quatorze cents hommes d’equipage. Je pourrais vous raconter ici differentes aventures qui m’arriverent en Angleterre, mais je les reserve pour une autre fois. Il en est une cependant que je veux mentionner. J’eus une fois le plaisir de voir passer le roi, se rendant en grande pompe au Parlement, dans sa voiture de gala. Le siege etait occupe par un enorme cocher dans la barbe duquel se trouvaient tres artistement decoupees les armes d’Angleterre, et, avec son fouet, il decrivait dans l’air, de la facon la plus intelligible le chiffre du roi, un G et un R, surmontes d’une couronne royale, et si habilement entrelaces que le meilleur calligraphe aurait eu de la peine a faire mieux.
Dans notre traversee, il ne nous arriva rien d’extraordinaire. Le premier incident eut lieu a environ trois cents milles du fleuve Saint-Laurent: notre vaisseau heurta avec une violence extreme contre quelque chose qui nous sembla etre un rocher.
Cependant, quand nous jetames la sonde, nous ne trouvames pas le fond a cinq cents brasses. Ce qui rendait cet incident encore plus extraordinaire et plus incomprehensible, c’est que nous avions du coup perdu notre gouvernail; notre beaupre etait casse en deux, tous nos mats s’etaient fendus dans la longueur, et deux s’etaient abattus sur le pont. Un pauvre diable de matelot, qui etait occupe dans les agres a serrer la grand-voile, fut enleve a plus de trois lieues du vaisseau avant de tomber a l’eau. Heureusement, pendant ce trajet, il eut la presence d’esprit de saisir au vol la queue d’une grue, ce qui non seulement diminua la rapidite de sa chute, mais encore lui permit de nager jusqu’au vaisseau en se prenant au cou de la bete.
Le choc avait ete si violent que tout l’equipage, qui se trouvait sur le pont, fut lance contre le tillac. J’en eus, du coup, la tete renfoncee dans les epaules, et il fallut plusieurs mois avant qu’elle reprit sa position naturelle. Nous nous trouvions tous dans un etat de stupefaction et de trouble difficile a decrire, lorsque l’apparition d’une enorme baleine qui sommeillait sur la surface de l’ocean vint nous donner l’explication de cet evenement. Le monstre avait trouve mauvais que notre vaisseau l’eut heurte, et s’etait mis a donner de grands coups de queue sur nos bordages; dans sa colere, il avait saisi dans sa bouche la maitresse ancre qui se trouvait, suivant l’usage, suspendue a l’arriere, et l’avait emportee en entrainant notre vaisseau sur un parcours de pres de soixante mille, a raison de dix milles a l’heure.
Dieu sait ou nous serions alles, si par bonheur le cable de notre ancre ne se fut rompu, de sorte que la baleine perdit notre vaisseau, et que nous, nous perdimes notre ancre. Lorsque, plusieurs mois apres, nous revinmes en Europe, nous retrouvames la meme baleine presque a la meme place: elle flottait morte, sur l’eau, et mesurait pres d’un demi-mille de long. Nous ne pouvions prendre a bord qu’une petite partie de cette formidable bete: nous mimes donc nos canots a la mer, et nous detachames a grand-peine la tete de la baleine: nous eumes la satisfaction d’y retrouver non seulement notre ancre, mais encore quarante toises de cable qui s’etaient logees dans une dent creuse, placee a la gauche de sa machoire inferieure.
Ce fut l’unique evenement interessant qui marqua notre retour. Mais non! j’en oubliais un qui faillit nous etre fatal a tous. Lorsque, a notre premier voyage, nous fumes entraines par la baleine, notre vaisseau prit une voie d’eau si large que toutes nos pompes n’eussent pu nous empecher de couler bas en une demi-heure. Heureusement j’avais ete le premier a m’apercevoir de l’accident: le trou mesurait au moins un pied de diametre. J’essayai de le boucher par tous les moyens connus, mais en vain: enfin je parvins a sauver ce beau vaisseau et son nombreux equipage par la plus heureuse imagination du monde. Sans prendre le temps de retirer mes culottes, je m’assis intrepidement dans le trou; l’ouverture eut-elle ete beaucoup plus vaste, j’eusse encore reussi a la boucher; vous ne vous en etonnerez pas, messieurs, quand je vous aurai dit que je descends, en lignes paternelle et maternelle, de familles hollandaises, ou au moins westphaliennes. A la verite, ma position sur ce trou etait assez humide, mais j’en fus bientot tire par les soins du charpentier.
CHAPITRE VIII Troisieme aventure de mer.
Un jour, je fus en grand danger de perir dans la Mediterranee. Je me baignais par une belle apres-midi d’ete non loin de Marseille, lorsque je vis un grand poisson s’avancer vers moi, a toute vitesse, la gueule ouverte. Impossible de me sauver, je n’en avais ni le temps ni les moyens. Sans hesiter, je me fis aussi petit que possible; je me pelotonnai en ramenant mes jambes et mes bras contre mon corps: dans cet etat, je me glissai entre les machoires du monstre jusque dans son gosier. Arrive la, je me trouvai plonge dans une obscurite complete, et dans une chaleur qui ne m’etait pas desagreable. Ma presence dans son gosier le genait singulierement, et il n’aurait sans doute pas demande mieux que de se debarrasser de moi: pour lui etre plus insupportable encore, je me mis a marcher, a sauter, a danser, a me demener et a faire mille tours dans ma prison. La gigue ecossaise, entre autres, paraissait lui etre particulierement desagreable: il poussait des cris lamentables, se dressait parfois tout debout en sortant de l’eau a mi-corps. Il fut surpris dans cet exercice par un bateau italien qui accourut, le harponna, et eut raison de lui au bout de quelques minutes. Des qu’on l’eut amene a bord, j’entendis l’equipage qui se concertait sur les moyens de le depecer de facon a en tirer le plus d’huile possible. Comme je comprenais l’italien, je fus pris d’une grande frayeur, craignant d’etre decoupe en compagnie de l’animal. Pour me mettre a l’abri de leurs couteaux, j’allai me placer au centre de l’estomac, ou douze hommes eussent pu tenir aisement; je supposais qu’ils attaqueraient l’ouvrage par les extremites. Mais je fus bientot rassure, car ils commencerent par ouvrir le ventre. Des que je vis poindre un filet de jour, je me mis a crier a plein gosier combien il m’etait agreable de voir ces messieurs et d’etre tire par eux dans une position ou je n’eusse pas tarde a etre etouffe.
Je ne pourrais vous decrire la stupefaction qui se peignit sur tous les visages lorsqu’ils entendirent une voix humaine sortir des entrailles du poisson; leur etonnement ne fit que s’accroitre quand ils en virent emerger un homme completement nu. Bref, messieurs, je leur racontai l’aventure telle que je vous l’ai rapportee; ils en rirent a en mourir.
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